L’effet Trump au Québec
Jusqu’à la fin, Justin Trudeau aura espéré que les Canadiens voient en lui un antidote au trumpisme, dont un gouvernement Poilievre serait le vecteur.
Même sans la fronde qui a forcé le premier ministre à jeter l’éponge, il était hautement improbable qu’un retard de 20 points puisse être comblé en quelques mois.
Maintenant qu’il n’est plus qu’un « canard boiteux », la question est de savoir qui est le plus apte à répondre à la menace que M. Trump et ses sbires font planer sur le pays.
Le rôle de « Capitaine Canada » devrait ultérieurement échoir à Pierre Poilievre, qui se serait toutefois bien passé de la bénédiction d’Elon Musk. En attendant, Doug Ford, qui préside le Conseil de la fédération, le revendique clairement.
La popularité du premier ministre Legault a beau être en baisse, personne ne peut lui contester le poste de « Capitaine Québec ». Sa situation est loin d’être aussi désespérée que pouvait l’être celle de M. Trudeau.
Selon le dernier sondage Léger, la Coalition avenir Québec n’avait qu’un retard de 7 points sur le Parti québécois (PQ), et il reste plus de 20 mois avant les prochaines élections. La partie demeure donc tout à fait jouable pour le parti. Après deux années difficiles, la brutale entrée en scène de M. Trump offre même une occasion inespérée à M. Legault de se remettre en selle, pour peu qu’il se montre à la hauteur de la situation.
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Les périodes de crise sont souvent profitables à un gouvernement, pour peu qu’il paraisse déterminé à agir. Face à la COVID-19, M. Legault semblait souvent naviguer à vue, mais la population lui a néanmoins fait confiance et il est ressorti plus fort de l’épreuve.
Il est vrai qu’il en était à son premier mandat, et que huit années de pouvoir engendrent un sentiment de lassitude et un désir de changement. Une situation de crise peut toutefois avoir pour effet de valoriser l’expérience.
En 2008, Jean Charest, qui avait perdu sa majorité l’année précédente, avait convaincu les Québécois de le laisser empoigner le volant à deux mains pour traverser la pire tempête financière depuis celle de 1929.
Après sa rencontre fortuite avec le président désigné, à Paris, M. Legault a donné pendant un moment l’impression de vouloir se faire son porte-parole. Alors que Doug Ford plaidait la ligne dure, il estimait au contraire qu’il fallait se plier à ses exigences.
La pause des Fêtes a manifestement été salutaire. Il recommande maintenant de « garder la tête froide et de ne pas entrer dans son jeu ». Il ne demande certainement pas mieux que de mobiliser le Québec dans un combat qui pourrait faire oublier le bilan pour le moins contrasté de son gouvernement.
Jusqu’à présent, il n’a pas eu beaucoup de succès en évoquant la tourmente dans laquelle un troisième référendum sur la souveraineté plongerait le Québec, mais la nouvelle menace venue de Washington pourrait apporter beaucoup d’eau à son moulin.
Rien ne rapproche autant qu’une commune inquiétude face au danger. Les Québécois se sentent menacés au même titre que les Canadiens, ce qui pourrait recréer, au moins temporairement, une solidarité pancanadienne qui avait pratiquement disparu. Plusieurs se demanderont si un État de 40 millions d’habitants ne résisterait pas mieux à ce matamore qu’un État qui en compte 9 millions.
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Constatant la désorganisation de la réplique canadienne, Paul St-Pierre Plamondon propose la formation d’une « Équipe Québec », qui inclurait aussi les partis d’opposition et des représentants de la société civile. Il serait étonnant que l’indépendance leur apparaisse comme la meilleure solution dans l’immédiat.
Il y a d’excellentes raisons de vouloir quitter la fédération, mais le Québec ne sera pas plus avancé si l’économie s’effondre d’un océan à l’autre. Il sera toujours temps de reprendre le combat pour l’indépendance quand le feu sera éteint.
Depuis qu’il est chef du PQ, M. St-Pierre Plamondon n’a jamais remis en question la tenue d’un référendum dans un premier mandat, malgré la stagnation du Oui dans les sondages.
Dans son esprit, l’élection pratiquement inéluctable d’un gouvernement dirigé par Pierre Poilievre, qui manifeste le même « mépris pour le Québec » que Justin Trudeau, ne pouvait que favoriser la création des « conditions gagnantes », mais l’attitude belliqueuse de M. Trump pourrait bien avoir l’effet inverse.
Revoir l’échéancier référendaire ne serait cependant pas une mince affaire. Cela enlèverait sans doute un argument de poids à M. Legault lors de la prochaine campagne électorale, mais les militants péquistes risquent d’y voir un autre de ces reculs « stratégiques » auxquels le passé les a rendus chroniquement allergiques.
Ce texte fait partie de notre section Opinion, qui favorise une pluralité des voix et des idées. Il s’agit d’une chronique et, à ce titre, elle reflète les valeurs et la position de son auteur et pas nécessairement celles du Devoir.