La vraie nature de Zuckerberg
Pendant que le comté de Los Angeles compte les morts causés par d’effroyables incendies, le président des États-Unis désigné, Donald Trump, répand ses faussetés à la même vitesse que les flammes. Sur son réseau Truth Social, le 8 janvier, il a accusé le gouverneur de la Californie, le démocrate Gavin Newsom, d’être responsable des difficultés d’approvisionnement en eau en raison de son refus « de signer la déclaration de restauration de l’eau qui lui a été présentée et qui aurait permis l’accès à des millions de litres d’eau, provenant des pluies excédentaires et de la fonte des neiges du Nord ».
Une simple mais rigoureuse vérification des faits menée par l’équipe du Poynter Institute, PolitiFact, a montré que la « déclaration de restauration de l’eau » n’existe tout simplement pas. Et que ce sont les structures de stockage des eaux, et non ses méthodes de collecte à la source, qui ont entraîné des problèmes d’approvisionnement. Pour le président désigné, proférer des mensonges de manière consciente et calculée dans le but de discréditer l’adversaire est devenu aussi naturel que respirer. Il est donc profondément troublant d’apprendre que le p.-d.g. de Meta Platforms inc. (Facebook, Instagram, WhatsApp, Threads), Mark Zuckerberg, s’incline devant le règne de la désinformation et proscrit l’ère de la vérification des faits.
Dans une vidéo diffusée le 7 janvier dernier sur son réseau, l’ex-étudiant de Harvard âgé de 40 ans, et dont la fortune est évaluée à plus de 200 milliards de dollars américains, a affirmé qu’il souhaitait « revenir à la source » de Facebook, créé en 2004, et redonner la voix au peuple. Concrètement, il annonce la fin de la vérification des faits par une équipe de vérificateurs au profit des notes de la communauté, à la manière du réseau X, où les citoyens réagissent au gré de leurs connaissances, a priori et intentions partisanes. Ironiquement, le programme de vérification des faits lancé par Facebook en 2016, et salué dans le monde entier, visait à contrer le flot de fake news né de la campagne du candidat républicain Donald Trump. Zuckerberg n’en est pas à son premier revirement, mais celui-ci pourrait être dévastateur.
Dans une longue entrevue-confession accordée vendredi au polémiste et partisan de Trump Joe Rogan (l’un des animateurs de podcast les plus écoutés dans le monde), Zuckerberg explique qu’il a erré en confiant à des vérificateurs « idéologiquement partiaux » le mandat de valider la véracité des idées publiées par les utilisateurs de Facebook — il y en aurait 3,2 milliards chaque mois dans le monde, une quantité non négligeable. « On va se débarrasser d’une série de restrictions portant sur l’immigration et les questions de genre », dit-il, ne cachant pas son exaspération pour des courants wokes, qui lui semblent occuper trop d’espace.
Le p.-d.g poursuit son délire : fortement mal à l’aise avec le fait d’être « un de ceux qui décident de ce qui est vrai ou faux dans le monde », il préfère mettre fin à la « censure » et milite pour une saine autorégulation. Or, la désastreuse expérience du réseau X, sous la houlette d’un autre despote de la désinformation, Elon Musk, a montré les errements vers lesquels menait un réseau gangrené par les trolls et les manipulateurs. Avec les notes de la communauté, la vérité n’est pas vainqueure.
Zuckerberg parle de censure, mais ce que les vérificateurs de faits faisaient n’avait rien à voir avec une exclusion complète de propos s’éloignant de la vérité, mais relevait plutôt d’une diminution de leur portée. Facebook est une bête qui se nourrit à l’engagement, source de ses profits mirobolants. La décision a choqué partout dans le monde, et un groupe comme l’IFCN (Réseau international de vérification des faits) a immédiatement dénoncé la prémisse de Zuckerberg, selon laquelle les vérificateurs sont idéologiquement partiaux, ce qui en fait des censeurs.
La nouvelle ne concerne pour l’heure que les États-Unis, mais Mark Zuckerberg a promis d’étendre cette mesure ailleurs. L’heure est grave : a-t-on oublié un faux pas tragique comme celui survenu en 2017 au Myanmar ? Un rapport dévastateur publié en 2022 par Amnesty International a démontré que « les systèmes d’algorithmes de Facebook amplifiaient la propagation de contenus nocifs anti-Rohingyas au Myanmar ». Des milliers de Rohingyas ont ainsi été « tués, torturés, violés et déplacés ». Avec Facebook comme caisse de résonance, la violence virtuelle s’est transposée sur le terrain.
Les nouvelles règles sur la conduite haineuse édictées par Facebook interdisent de cibler des caractéristiques mentales pour insulter des personnes, mais, de manière tout à fait outrancière, elles passeront outre auxdites allégations de maladie mentale ou d’anormalité si elles sont fondées sur le genre ou l’orientation sexuelle, et cela, « compte tenu du discours politique et religieux sur le transgenrisme et l’homosexualité ». La communauté LGBTQ+ fulmine et s’inquiète, avec raison. Voilà donc la vraie nature de Zuckerberg, qui, sous le couvert fourre-tout de la libre expression, pourrait stimuler des vagues de haine et d’intolérance sur ses réseaux sociaux.
Ce texte fait partie de notre section Opinion. Il s’agit d’un éditorial et, à ce titre, il reflète les valeurs et la position du Devoir telles que définies par son directeur en collégialité avec l’équipe éditoriale.