Sur la voie de garage

Les objectifs sont toujours là, ambitieux, inchangés, mais le cœur, visiblement, n’y est plus comme avant. Pilier de l’action gouvernementale en matière d’économie verte et de lutte contre les changements climatiques, l’électrification des transports aurait-elle été mise sur la voie de garage ?

Dans le discours public, rien n’a changé. Québec comme Ottawa se donnent toujours jusqu’à 2035 pour que tous les nouveaux véhicules légers vendus au Canada soient zéro émission. Tous, sans exception. L’un comme l’autre multiplient toutefois les signaux contradictoires, déroutant ainsi les consommateurs et alarmant les concessionnaires et les constructeurs, qui réclament le report, voire l’abandon de ces quotas.

C’est un réflexe qui se comprend, mais auquel il faut résister au nom de la transition énergétique.

Vrai, les incitatifs à l’achat de voitures et de bornes électriques connaissent un désamour difficile à nier. L’annonce de la fin progressive du programme Roulez vert, entamée dès 2025 et étalée jusqu’à la disparition complète des subventions en 2027, avait déjà soulevé un certain scepticisme chez les experts comme le public. Le gel imprévu des subventions dès février, et au moins jusqu’en avril en raison d’un épuisement des fonds plus rapide que prévu, a ramené ces doutes à l’avant-plan.

Le ministre de l’Environnement Benoit Charette argue que le retrait de ce programme populaire ne devrait pas nuire à l’électrification du parc automobile. Il croit même que son élimination fera baisser les prix, comme cela s’est vu en Colombie-Britannique, où le gouvernement a restreint ses incitatifs cet été. Son calcul paraît hasardeux.

On sait que les subventions favorisent l’adoption des voitures électriques — une équipe de l’Université Laval a récemment publié une étude fort éclairante sur le sujet. Mais on sait aussi que, là où on les a abolies trop tôt, soit avant que les habitudes ne soient enracinées, on a noté une baisse des ventes de véhicules électriques. Ce fut le cas en Allemagne et en Ontario.

Le passage à vide de Roulez vert tombe mal. En plus de la déconfiture de Lion Électrique, dont l’étoile n’arrête plus de pâlir, on a appris vendredi dernier la fin du programme fédéral iVZE, qui permettait aux acheteurs de véhicules électriques d’obtenir jusqu’à 5000 $ de subvention et jusqu’à 2500 $ pour un hybride rechargeable. Bientôt à court de fonds, il sera suspendu, vraisemblablement avant la fin mars.

Le refus du Québec, de la Colombie-Britannique et d’Ottawa de se précipiter à la rescousse de ces programmes encore hier érigés en modèles en dit long sur la fatigue climatique qui grandit d’un océan à l’autre.

On la voit dans la remise en question de la tarification carbone, qui fait son chemin jusque dans la course à la chefferie libérale, là où elle compte pourtant ses alliés les plus pugnaces. Dans le discours du chef conservateur aussi. Pierre Poilievre a fait de la taxe sur le carbone « une menace existentielle » à l’économie canadienne et au mode de vie des Canadiens. Quant au voisin américain, son président désigné est littéralement parti en croisade contre la voiture électrique, ce qui n’est rien pour encourager les constructeurs et les concessionnaires à nourrir cette filière en Amérique du Nord.

Si plusieurs chemins mènent à l’incontournable transition énergétique, aucun ne passe par le statu quo, encore moins par un accroissement du parc automobile à combustion (ou même du parc automobile tout court). La mobilité électrique, au contraire, demeure un formidable moyen d’y parvenir. Pour peu qu’elle soit couplée à des transports en commun solides (on est loin du compte) et à une bonne mobilité active (laquelle a aussi de l’eau dans le gaz).

Le pari n’est pas impossible. Assise sur une mine d’or d’hydrocarbures, la Norvège s’est donné les moyens de ses ambitions : ne vendre que des voitures neuves zéro émission à compter de 2025. Elle est en voie d’y parvenir. En 2024, sur dix voitures neuves vendues, neuf étaient électriques. Le pays scandinave était parti de loin. En 2012, la part de marché des véhicules électriques n’atteignait même pas les 3 %.

Sa stratégie ? Faire en sorte que le virage devienne d’abord irrésistible, puis naturel. Pas de bâton, donc, mais beaucoup de carottes : exemption de taxes diverses, immatriculation gratuite, passe-droits pour le stationnement et pour les voies réservées. Le tout couplé à des aménagements conçus pour faciliter la vie des gens, notamment la mise en place d’un réseau exemplaire de bornes à faire verdir d’envie les Québécois.

La mobilité électrique, telle qu’on la développe au Québec, avec le pied sur le frein, n’arrive pas à la cheville des efforts norvégiens. Ni d’ailleurs des efforts du géant chinois, champion mondial en nombre d’achats de voitures électriques.

La mobilité électrique n’est pourtant pas un mirage. Encore faut-il qu’on cesse de nous vendre un marché de dupes. La transition ne se fera pas d’elle-même. Elle nécessite un engagement ferme de la part de nos gouvernements, mais surtout une vision globale d’une mobilité repensée par et pour les défis de ce siècle.

Ce texte fait partie de notre section Opinion. Il s’agit d’un éditorial et, à ce titre, il reflète les valeurs et la position du Devoir telles que définies par son directeur en collégialité avec l’équipe éditoriale.

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