Le vague à l’âme des ados

Les jeunes du secondaire se portent-ils bien sur le plan psychologique ? Un nouveau pan de l’Enquête québécoise sur la santé des jeunes du secondaire 2022-2023, menée par l’Institut de la statistique du Québec (ISQ), laisse entendre que non. Entre les effets délétères des écrans et des réseaux sociaux, le manque de sommeil et une piètre estime de soi, les 12-17 ans composent avec des troubles anxieux et des symptômes dépressifs.

Les signaux d’alarme s’amoncellent dans le champ précieux de la santé mentale des jeunes. Les études publiées de par le monde ont dépeint ces dernières années une jeunesse touchée en plein coeur par de nouvelles habitudes de vie tournant autour de la connexion perpétuelle et un environnement instable. Les résultats de l’enquête de l’ISQ montrent une dégradation de plusieurs indicateurs entre les années 2010-2011 et 2022-2023. On ne martèlera jamais assez l’importance capitale de ces investigations destinées à inciter nos sociétés à investir les ressources en prévention là où il le faut, et nos éducateurs et nos familles à agir pour protéger le bien-être des générations futures.

Car il est bien fragile, ce bien-être… Là où on souhaiterait la poursuite de l’innocence et d’une certaine candeur face au monde, les jeunes garçons et filles tournent un visage inquiet, déjà marqué par des stigmates. Vingt-neuf pour cent des filles affirment avoir reçu un diagnostic de trouble anxieux (contre 11 % chez les garçons), et 10 % de dépression (4,6 % pour les garçons), des statistiques en hausse constante depuis le tournant de 2010. De plus, 6 % des élèves sondés prennent des médicaments pour atténuer leurs symptômes, et 16 % pour contrer les effets d’un trouble déficitaire de l’attention.

Sans grande surprise, l’écran trône encore au coeur de ce rapport morose. La science a bien établi les conséquences néfastes d’un usage excessif de l’écran, et son association avec l’émergence de troubles de santé mentale est de plus en plus évidente. Des 70 825 élèves de 483 écoles qui ont répondu à cette enquête, 25 % ont affirmé passer quatre heures ou plus par jour devant un écran, un usage qui a considérablement augmenté depuis la pandémie. Le sommeil en est sitôt touché, 48 % des répondants confiant être en deçà des huit à dix heures de sommeil par nuit (recommandées pour les 14-17 ans), contre 34 % seulement en 2016-2017.

La connexion numérique des jeunes fait même l’objet cette année d’une commission parlementaire à l’Assemblée nationale, qui viendra déposer ses recommandations au printemps prochain. Devant les parlementaires, plusieurs experts sont venus défendre le principe de l’encadrement plutôt que celui du bannissement, qui équivaudrait à repousser froidement une part essentielle de l’évolution numérique. L’écran, qui, de manière insidieuse, a remplacé le sommeil et l’activité physique chez un trop grand nombre de jeunes, ne relaie pas que des préceptes pédagogiques ou des discours bienveillants. Et c’est là le grand problème de cet univers souvent toxique, violent, décadent, addictif, ayant des effets néfastes sur les relations sociales et interpersonnelles des jeunes — et des moins jeunes.

En commission parlementaire, il n’a pas été passé sous silence que les enfants apprennent en reproduisant les modèles qu’on leur brandit. Si les parents tentent de faire la police des réseaux sociaux tout en répondant compulsivement aux nombreuses alertes faisant tinter leur téléphone intelligent, l’intervention pédagogique, si bienveillante soit-elle, tombera totalement à plat. Dans une maisonnée aux parents eux-mêmes « accrocs », minces sont les probabilités que la marmaille décroche.

Idem pour l’école, qui a il y a quelques années ajouté aux techniques pédagogiques l’usage de l’écran en classe — et en dehors. Il fallait bien sûr embrasser l’univers enrichissant de l’innovation numérique, et y faire participer les générations de demain. Mais sommes-nous allés trop vite et à tâtons dans cette exploration ? Les indices récoltés aujourd’hui au sujet de la santé psychologique des jeunes ne peuvent pas à coup sûr pointer la fracture numérique comme seule et unique cause de cette jeunesse en quête d’espoir et à l’estime de soi écorchée. Mais ils sont suffisamment nombreux pour qu’on cherche à mieux encadrer l’usage des technologies, dans une perspective de santé publique.

Enfin, un dernier point devrait attirer l’attention dans ce récent coup de sonde de l’ISQ, et c’est la présence d’au moins une forme de violence (psychologique, physique ou sexuelle) subie par les jeunes au sein de leurs relations amoureuses. Ainsi, 20 % des filles affirment avoir subi de la violence sexuelle et 34 % de la violence psychologique dans le cadre de ces relations censées faire du bien à l’âme. Quelques années de pause pandémique qui ont eu un effet néfaste sur la qualité des relations interpersonnelles, inexistantes, ajoutées à l’omniprésence de l’écran et la toxicité des réseaux sociaux : cela constitue un enchevêtrement de défis supplémentaires pour des jeunes en construction, à qui notre société doit pouvoir promettre que leur bien-être est une véritable priorité.

Ce texte fait partie de notre section Opinion. Il s’agit d’un éditorial et, à ce titre, il reflète les valeurs et la position du Devoir telles que définies par son directeur en collégialité avec l’équipe éditoriale.

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