L’urgence d’agir, dans un an
L’urgence d’agir pour resserrer l’accueil en immigration n’est donc finalement que l’affaire du gouvernement fédéral, aux yeux de François Legault. Le premier ministre du Québec et ses troupes caquistes ont beau marteler depuis des mois que les services publics et le parc immobilier sont sous trop haute pression, son gouvernement n’a pas pour autant cru bon de profiter du dévoilement annuel de ses propres seuils en immigration pour les réduire à son tour. Pire, il explique les rehausser momentanément pour agir… dans encore un an.
Au fil des ans, le discours de François Legault s’est avéré aussi inconstant que l’accueil des immigrants permanents par son gouvernement. Il ne s’est tenu qu’à une seule reprise à sa cible de 40 000 admissions par année, en 2019 (l’année pandémique suivante, lors de laquelle les frontières ont été fermées, étant exclue de toute planification coordonnée). Et jamais, depuis que cette cible a été revue à la hausse, à 50 000 immigrants permanents, n’a-t-elle été respectée. Un quasi-record est maintenant prévu pour l’an prochain (après celui atteint en 2022, pour justement rattraper les années pandémiques), avec l’arrivée attendue en 2025 de jusqu’à 66 500 nouveaux arrivants, dont 13 500 à 15 000 immigrants nouvellement diplômés accueillis en vertu du Programme de l’expérience québécoise (PEQ).
Aux prises avec la popularité de ce volet du PEQ, que sa prédécesseure avait choisi de déplafonner l’an dernier, le ministre de l’Immigration, Jean-François Roberge, explique avoir décidé d’ainsi élaguer l’accumulation de ces demandes de résidence permanente tout en imposant un moratoire sur les subséquentes en vue d’avoir les « coudées franches » pour chiffrer ses seuils d’immigration des prochaines années.
Car, pour l’instant, le gouvernement caquiste s’est abstenu de tout geste décisif visant à faire fléchir les tendances migratoires qu’il déplore haut et fort. Il s’en remet plutôt à une planification pluriannuelle immuable, prétextant que celle de l’an dernier, pour 2024-2025, lui lie les mains pour l’année qui s’en vient.
Or, rien n’oblige le ministre Roberge à s’y tenir au chiffre près. La Loi sur l’immigration au Québec indique au contraire qu’il doit simplement établir ses cibles annuelles en « en tenant compte ». M. Roberge devrait le savoir, lui qui vient justement de plus que doubler sans préavis l’accueil prévu de diplômés du PEQ.
Qui plus est, le ministre a poussé l’illogisme de son gouvernement jusqu’à refuser de confirmer qu’il se préparait donc à abaisser les seuils dans deux ans. Tout au plus cela fera-t-il « partie des scénarios » étudiés, s’est-il contenté d’avancer.
Les récriminations caquistes contre une volte-face jugée insuffisante du gouvernement fédéral de Justin Trudeau, qui vient pour sa part d’annoncer une réduction de 20 % de l’immigration permanente qu’il contrôle, et ce, dès l’an prochain, tombent à plat. Le refrain de l’inaction fédérale, répété par un gouvernement québécois qui en fait encore moins dans son propre champ de compétence, sonne de plus en plus faux.
Heureusement, le ministre Roberge a vu juste en annonçant que l’équation d’accueil du Québec l’an prochain inclurait enfin — comme celle du fédéral — la réalité des résidents temporaires, trois fois plus nombreux que les immigrants permanents. L’Institut du Québec est venu adresser un éloquent rappel à l’ordre : près de la moitié des résidents non permanents en territoire québécois relèvent de la responsabilité du Québec. Et la forte hausse de l’immigration temporaire depuis trois ans s’explique d’abord par celle de l’octroi de permis de travail (161 400 personnes, soit 49 % de la croissance), et non par l’arrivée massive de demandeurs d’asile (102 000 migrants, ou 31 % de l’augmentation).
Que le gouvernement caquiste s’en tienne encore à des mesures circonscrites pour resserrer l’immigration temporaire, avec un moratoire des travailleurs à bas salaire à Montréal ou un plafond d’étudiants étrangers toujours non chiffré, devient difficilement défendable.
Recadrer le système d’immigration québécois pour en définir et en respecter la capacité d’accueil nécessite justesse et prévoyance. La CAQ tente aujourd’hui de compenser les effets de ses propres politiques visiblement mal attachées, en ayant ouvert la porte en continu aux diplômés du PEQ ou exigé une meilleure maîtrise du français sans appréhender l’explosion prévisible de la demande en francisation. Le ministre Roberge a bien raison de se réjouir du fait que 80 % des immigrants économiques accueillis l’an prochain maîtriseront le français. Cela devrait d’autant plus l’encourager à financer à une juste hauteur l’apprentissage de ceux qui ne rêvent que de pouvoir s’en féliciter à leur tour.
L’accueil migratoire, dans un monde de plus en plus imprévisible, requiert une flexibilité. Encore faut-il toutefois qu’elle ne se fasse pas en improvisant. Et encore moins, en lorgnant une prochaine campagne électorale, à retardement.
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