L’unisson des antithèses

À deux jours d’écart, sur des côtes opposées du Canada, les verdicts rendus aux élections provinciales en Colombie-Britannique et au Nouveau-Brunswick n’auraient pu être davantage aux antipodes. La percée historique des conservateurs face au recentrage du Nouveau Parti démocratique dans la province du Pacifique a été suivie d’une dégelée conservatrice infligée par une remontée libérale fulgurante dans les Maritimes.

Les leçons sont multiples et antinomiques, mais aussi d’une limpide universalité, celle d’une continuité de ce vent de changement si dominant en Occident.

La victoire de la libérale Susan Holt au Nouveau-Brunswick, première femme à être élue première ministre de cette province, a dû réjouir bon nombre de libéraux fédéraux qui n’en peuvent plus de vivoter dans les sondages. Le virage tout à droite du premier ministre sortant, Blaine Higgs, qui s’inspirait pourtant d’homologues conservateurs des Prairies plus populaires que lui, n’a pas passé, et ce, jusque dans sa propre circonscription — ses politiques sociales sur les prénoms ou les pronoms choisis par des élèves transgenres à l’école, mais aussi sur les sites d’injection de drogue supervisée. Un possible avertissement lancé aux troupes plus pures et dures du chef conservateur fédéral, Pierre Poilievre.

L’hostilité notoire et maintes fois réaffirmée de Blaine Higgs à l’endroit des francophones a de surcroît scellé sa cuisante défaite, qui représente une victoire pour les minorités linguistiques et LGBTQ+ du Nouveau-Brunswick.

Le triomphe de Susan Holt n’est cependant pas pour autant celui de la marque libérale au Canada, la première ministre l’ayant à peine affichée pendant sa campagne, ses pancartes se limitant souvent à ne promouvoir en lettres rouges que l’« équipe Holt », et non pas son parti. Encore moins celui de Justin Trudeau ou de sa tarification carbone, de laquelle Mme Holt veut se soustraire pour concocter une approche toute néo-brunswickoise.

Jamais un gouvernement sortant néo-brunswickois n’a décroché un troisième mandat consécutif depuis les années 1990. L’issue du vote de lundi confirme donc davantage une alternance politique toute naturelle qu’il ne traduit un essoufflement de la montée d’un conservatisme résolument à droite au Canada. Tant pis pour les espoirs des libéraux fédéraux de Justin Trudeau qui auraient été soudainement tentés de s’aventurer en terrain optimiste.

Car en Colombie-Britannique, pendant qu’une tempête inondait le sud de la province de 250 millimètres de pluie, près de la moitié des électeurs y ont appuyé un chef conservateur aux propos climatosceptiques, John Rustad. Certaines de ses promesses de « changement du gros bon sens » — inspirées, comme son slogan creux, de Pierre Poilievre — allaient même plus loin que celles des conservateurs fédéraux ou de Blaine Higgs (comme cesser carrément de financer l’éducation sexuelle à l’école ou imposer des cures de désintoxication involontaires).

Le résultat final de cette élection au coude-à-coude (46 sièges pour les néodémocrates et 45 pour les conservateurs) attendra encore quelques jours, voire quelques semaines, le temps d’au moins deux recomptages. L’ascension du Parti conservateur, qui n’avait récolté que moins de 2 % des voix il y a quatre ans, y est cependant déjà confirmée.

Depuis l’abdication des libéraux provinciaux, la menace de la droite était telle que le premier ministre néodémocrate sortant, David Eby, a même recadré certaines des politiques phares de la province. La taxe carbone y sera ainsi abandonnée si un gouvernement conservateur fédéral abolit l’obligation d’une tarification pancanadienne. Et le parti qui avait décriminalisé les drogues dures souscrit désormais à la désintoxication forcée pour certaines catégories de personnes souffrant de dépendance. Un ressac progressiste désolant dans l’une des provinces les plus avant-gardistes.

L’approche de la Colombie-Britannique en ce qui concerne la réduction des méfaits bat de l’aile, ayant été si mal encadrée qu’elle a mené à des débordements intolérables pour la population. Une crise aussi épineuse, englobant celles des surdoses, de la santé mentale et du manque de logements, requiert toutefois de s’ajuster aux écueils pour offrir une réponse holistique et non pas une régression nuisible et simpliste.

Le climat politique, à l’échelle du reste du Canada, semble résolument à l’amortissement du soutien à ces populations vulnérables ainsi qu’au refroidissement de l’action climatique.

Sur la côte ouest comme sur la côte est, c’est cependant d’abord une vague de mécontentement qui est venue secouer les premiers ministres sortants. Qu’ils modulent leur offre ou qu’ils s’enfoncent dans leur idéologie politique. Ce qui laisse peu de latitude aux libéraux de Justin Trudeau pour donner un nouveau souffle à leur gouvernement et faire tourner le vent cinglant.

Ce texte fait partie de notre section Opinion. Il s’agit d’un éditorial et, à ce titre, il reflète les valeurs et la position du Devoir telles que définies par son directeur en collégialité avec l’équipe éditoriale.

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