Tel-jeunes tire la sonnette d’alarme

Au cours de l’année 2024, quelque 1000 petits choux de 6 à 12 ans ont eu le courage et le bon sens de joindre les services de Tel-jeunes pour demander de l’aide. Hélas, ces marmots sollicitent de l’aide pour des problèmes de dépression, d’anxiété, d’isolement et même pour des pensées suicidaires. L’organisme qui se consacre depuis 1991 à une mission de soutien visant les 12-17 ans constate que les enfants du primaire sont trois fois plus nombreux qu’avant la pandémie à se faufiler dans leurs statistiques. Il y a péril en la demeure.

Vivre de l’anxiété à 6 ans ? Bien que cela ne se manifeste pas de la même manière que chez des adultes ou des adolescents, les tout jeunes enfants peuvent en effet manifester des signaux d’anxiété dès la plus jeune enfance. Cela peut se traduire notamment par des difficultés de sommeil, une perte d’appétit, des accès plus fréquents de colère ou de tristesse, une tendance à vouloir s’isoler, des malaises physiologiques ou des indices de régression. Moins outillé que les plus vieux pour affronter un abîme de peur et d’inquiétude, le très jeune enfant réagit parfois de manière exacerbée à un problème, car il ne dispose pas des moyens nécessaires pour désamorcer les crises.

Dans un contexte comme celui-là, l’enjeu de l’accès aux ressources professionnelles de soutien se pose de manière cruciale. Or, la locomotive du soutien professionnel destiné à soulager les problèmes de santé mentale a perdu son erre d’aller au Québec. De manière générale, l’accès aux psychologues prend des allures de courses à obstacles, du moins dans le secteur public. Au privé, il faut payer une petite fortune pour s’offrir ce luxe. Dans le contexte décrit par les agences de santé dans le monde et au Québec en particulier, cela devrait pourtant plutôt s’apparenter à un service essentiel. Ça ne l’est pas le moins du monde.

L’Institut de la statistique du Québec estime qu’une personne sur cinq au Québec est aux prises avec une maladie mentale — diagnostiquée ou non. Dans 75 % des cas, ces problèmes se développent avant l’âge de 25 ans, et une fois sur deux, avant l’âge de 14 ans. On ne saura jamais assez insister sur le fait que le traitement précoce de ces manifestations est crucial pour le développement de ces citoyens. Les répercussions sur la société ne sont pas négligeables. L’Organisation mondiale de la santé insiste sur le fait que, bien que 15 % des jeunes de 10 à 19 ans aient vécu des problèmes de santé mentale et que le suicide soit la 4e cause de décès chez les 15-19 ans dans le monde, seule une petite portion d’enfants et d’adolescents a accès à des ressources de soutien psychologique — dans certaines nations, cela n’existe tout simplement pas.

Comment en sommes-nous arrivés là ? Dans un texte très percutant publié récemment sur nos plateformes, Céline Lamy, pédopsychiatre et instigatrice du collectif L’enfance n’est pas une maladie, avance l’hypothèse que cette situation tragique est la conséquence de tous les liens qui se délitent. « Nous sommes dans une réelle “crise de lien” qui est triple : coupure du lien en soi, coupure du lien à l’autre et coupure du lien à la nature. Et l’enfant n’y échappe pas », évalue-t-elle. Pour l’experte, ce déracinement s’illustre par le fait que nous voilà réduits trop souvent à stationner les enfants dans un sous-sol, armés de leurs écrans, coupés du monde réel, destinés à ne pas déranger ni nuire. Le fait que 1000 tout-petits appellent les services de Tel-jeunes ne parle pas que de leur souffrance, mais aussi de notre « aveuglement d’adulte ». C’est un constat auquel il faut s’attarder de toute urgence.

Mais pour les parents en crise, où frapper ? L’école devrait constituer un repaire naturel. Or, selon les données fournies par le ministère de l’Éducation dans son tableau de bord, il manquerait 15 % de psychologues scolaires sur les 1135 postes que le réseau devrait compter pour effectuer une intervention précoce. La pénurie de personnel frappant le milieu scolaire ajoute à l’aspect criant du problème de santé mentale chez les enfants du primaire. Les ressources professionnelles qui peuvent réellement changer des choses dans la vie de ces petits (et de leur famille) en offrant des outils pour sortir de l’état d’anxiété et de dépression ne sont pas au rendez-vous : psychoéducateurs, psychologues scolaires et orthopédagogues sont en nombre insuffisant.

Dans leurs premiers rapports dévoilés récemment dans La Presse, les Protecteurs régionaux de l’élève ont noté au cours d’une première année d’exercice qu’un des secteurs où les plaintes avaient été les plus nombreuses concerne les réductions de services aux élèves, faute de ressources. Alors que ce précieux personnel devrait agir en prévention, avant que l’aspect culminant de la crise ne se présente, le voilà contraint d’intervenir dans les cas les plus urgents. Les échos venus du terrain et montrant la détresse des plus petits nous parlent des failles de nos services d’aide aux plus vulnérables et de l’urgence d’agir pour une société future en santé.

Ce texte fait partie de notre section Opinion. Il s’agit d’un éditorial et, à ce titre, il reflète les valeurs et la position du Devoir telles que définies par son directeur en collégialité avec l’équipe éditoriale.

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