Signer la fin de l’apathie

C’est une étoile rouge aux pétales pointus qui symbolise les espoirs des 196 pays réunis jusqu’au 1er novembre à la Conférence des Nations unies sur la biodiversité (COP16), à Cali, en Colombie. La fleur d’Inírida n’a pas usurpé son titre de fleur éternelle : elle supporte autant les sécheresses que les inondations qui se déchaînent. Transposé à nos engagements pour une planète en santé, ce stoïcisme peut toutefois produire des racines empoisonnées nommées passivité, fatalisme et renoncement.

On connaît tous les statistiques cauchemardesques. Les différentes populations d’animaux sauvages qui ont perdu en moyenne 73 % de leurs individus en 50 ans, selon le Fonds mondial pour la nature. Les 5000 plantes jugées en état critique d’extinction. Ou encore les 85 % de la superficie des zones humides disparues dans le monde.

Surtout, on comprend ce que signifient ces statistiques affolantes. Une enquête du Programme des Nations unies pour le développement conduite dans 77 pays montre que 80 % des citoyens aspirent à une action climatique et environnementale plus forte de la part des gouvernements.

Sa priorisation dans nos préoccupations quotidiennes a toutefois perdu des plumes. Au Canada, la part des citoyens préoccupés par le climat a chuté de 14 points en un an, selon Abacus. Les trois quarts disent maintenant s’inquiéter du coût de la vie avant toute chose. En Allemagne, les politiques climatiques reculent et le mouvement Fridays for Future est devenu l’ombre de lui-même.

Ce ressac connaît parfois des sursauts. On en a vu deux échantillons récents. Le premier à Rouyn-Noranda, avec le collectif Mères au front, qui a manifesté plus tôt ce mois-ci contre la fonderie Horne. Le second à Montréal, avec ces deux militants qui ont pris d’assaut le pont Jacques-Cartier, mardi, pour dénoncer l’industrie pétrolière au nom de Last Generation Canada et du collectif Antigone.

Reste que ce ressac étend ses racines partout. Cet été, par exemple, les Verts ont été rétrogradés de la quatrième à la sixième position au Parlement européen. En vérité, de plus en plus d’élections se sont jouées ou risquent de se jouer en partie sur des campagnes faites contre le climat.

Pensez au discours anticlimat de Trump. À l’aversion des conservateurs de Pierre Poilievre pour la tarification carbone, qui a contaminé jusqu’aux rangs progressistes des néodémocrates. Au plan destiné à « mettre fin à la guerre contre l’automobile » mis en place par le gouvernement conservateur du Britannique Rishi Sunak en riposte à une théorie conspirationniste détournant le concept de la « ville 15 minutes ».

Que ce soit au nom du gros bon sens, de l’économie ou d’un essoufflement citoyen, ces doutes flirtent de plus en plus ouvertement avec l’apathie environnementale ou le déni climatique tout court. C’est une énorme épine au pied de la COP16, qui s’est ouverte dans une certaine indifférence lundi. C’est qu’à force de voir ces montagnes accoucher de souris chétives, les gens ont de moins en moins confiance en ces grandes messes internationales.

Ce qui ne veut pas dire que ces forums sont sans espoir ni utilité. Il y a deux ans, la COP15 s’était close en feux d’artifice avec l’adoption du cadre mondial de la biodiversité de Kunming-Montréal. La promesse de protéger 30 % des terres et des océans d’ici 2030 avait galvanisé des troupes échaudées par l’échec cuisant des objectifs d’Aichi. En une décennie, aucun des 20 objectifs pris à la COP10 n’avait été pleinement atteint.

En deux ans, les 23 cibles de l’accord de Kunming-Montréal, elles, ont bel et bien commencé à se concrétiser. Sur les 196 nations censées soumettre leur stratégie nationale à l’Organisation des Nations unies, une trentaine l’ont fait. Le Canada en est, comme le Mexique, la Chine et la France. Cela laisse de gros acteurs en plan, dont la Russie, l’Inde et le Royaume-Uni. Mince consolation : 91 pays ont commencé à soumettre des « cibles nationales ».

Quant aux États-Unis, ils n’ont pas ratifié la Convention sur la diversité biologique. Présents en simples observateurs, ils défendent une position d’évitement qui est une autre épine au pied de cette COP16 en quête de légitimité et de moyens financiers. Les 196 nations devront en effet s’entendre sur les moyens colossaux à mettre en oeuvre pour atteindre les objectifs de Kunming-Montréal. Et comment les partager équitablement.

Meneur assumé au sein de la COP15, le Canada entend revêtir les mêmes habits à la COP16. Il faut dire que le ministre de l’Environnement, Steven Guilbeault, navigue avec plus d’aisance avec la protection des écosystèmes, des espèces et des ressources génétiques qu’avec la décarbonisation et la transition énergétique, qui seront, elles, au coeur de la grande COP sur le climat, la COP29, qui s’ouvre dans trois semaines à Bakou, en Azerbaïdjan.

Espérons que le ministre Guilbeault gardera sa superbe et sa vindicte pour l’une et l’autre. Les crises de la biodiversité et du climat sont plus que jamais interconnectées. Il est grand temps de les mettre sur un pied d’égalité et de trouver les mots justes et les actions porteuses qui sauront les remettre au sommet de nos priorités.

Ce texte fait partie de notre section Opinion. Il s’agit d’un éditorial et, à ce titre, il reflète les valeurs et la position du Devoir telles que définies par son directeur en collégialité avec l’équipe éditoriale.

À voir en vidéo