La sage sentence du BAPE
Combien de sagas environnementales et de menaces à leur santé les Rouynorandiens doivent-ils tolérer au nom de l’exploitation lucrative des ressources et du regain économique ? Le Bureau d’audiences publiques sur l’environnement (BAPE) vient d’indiquer que, pour cette population éprouvée, la coupe est pleine. La commission d’enquête a conclu que, dans sa forme actuelle, le projet Horne 5 de Ressources Falco « ne satisfait pas aux exigences minimales en matière de sécurité, de santé publique, de protection de l’environnement et de l’internalisation des coûts ».
Le rapport du BAPE, dévoilé le 7 janvier dernier, porte sur un projet de gisement polymétallique contenant de l’or, de l’argent, du cuivre et du zinc. L’entreprise promet d’exploiter un gisement au cœur de la ville de Rouyn-Noranda sous le site de la mal-aimée fonderie Horne, dont la réputation se mesure désormais en taux de rejet dans l’air de nanogrammes d’arsenic par mètre cube (ng/m3). Ressources Falco souhaite creuser un gisement à 650 m sous la surface du site de la fonderie Horne, qui descendrait jusqu’à une profondeur de 2 km. Le projet d’exploitation court sur 15 ans et prévoit l’embauche de 500 personnes. Les tenants du projet sont entre autres séduits par cette perspective économique.
Même sur ce dernier point, le BAPE n’est pas convaincu, arguant que l’entreprise ne devrait pas se contenter de scruter les retombées économiques, mais devrait aussi englober les coûts et les externalités associés au projet. « La commission considère que l’initiateur n’a pas réussi à démontrer de manière convaincante la justification de son projet », laisse tomber le BAPE. L’organisme estime que le projet Horne 5 aurait un effet limité sur la gestion des matériaux critiques comme le zinc et le cuivre et refuse d’admettre comme argument convaincant le fait de réutiliser des installations existantes. Ça n’est pas banal !
Mais le raisonnement le plus dévastateur du BAPE concerne la qualité de l’environnement, la sécurité et la santé publique. La lecture des conclusions du document laisse perplexe : comment a-t-on pu imaginer un projet aussi néfaste — dans sa forme actuelle, car Ressources Falco ne baisse pas les bras et promet d’améliorer sa prestation — alors que la population de Rouyn-Noranda est toujours embourbée dans une saga environnementale liée aux émissions nocives d’arsenic dans l’air ? Rappel des évidences : les gens du quartier où l’usine métallurgique est en activité depuis 1927 ont subi des effets négatifs sur leur santé, démontrés de manière évidente au fil des ans. Qu’on pense à la santé des nourrissons et des tout-petits ou à celle des femmes enceintes, par exemple. Le risque excessif de cancer du poumon pèse lourd dans la balance des effets indésirables. Il ne fait pas bon vivre dans les environs de cette entreprise.
À ces maux se sont ajoutées l’indifférence, l’indolence et la tolérance indues des gouvernements, année après année. Au nom du maintien d’une bonne santé économique, les décideurs ont accepté de miner la santé des citoyens, et ce, en toute connaissance de cause. La dernière manifestation de tolérance inacceptable date du printemps 2023, quand le gouvernement a exigé que la Fonderie Horne mette en place un plan lui permettant de respecter la cible de 15 ng/m3 d’arsenic, mais seulement à partir de 2027. Si la Fonderie parvient à respecter la cible, ce serait tout de même cinq fois plus élevé que la norme environnementale de 3 ng/m3. Les choses se sont améliorées depuis, mais les émissions sont toujours très loin de la cible exigée partout ailleurs au Québec, ce qui laisse croire à un régime parallèle en Abitibi-Témiscamingue, au détriment de la santé des gens.
Dans ce contexte empoisonné, comment croire que la population serait prête à compromettre, encore et encore, des biens aussi cruciaux que l’environnement, la santé et la sécurité pour le projet Horne 5 ? Le mégaprojet métallurgique et le dynamitage qu’il suppose font craindre des secousses sismiques, lesquelles pourraient notamment avoir un impact majeur sur les équipements d’un centre de radio-oncologie avoisinant qui ne peut souffrir de déplacements, même d’un millimètre. Déjà marquée par des rejets d’eaux usées liés à la présence de plusieurs sites miniers, la Ville de Rouyn-Noranda mérite aussi qu’on l’assure d’un plan garantissant l’absence du moindre contaminant dans l’eau, ce qui n’est pas le cas.
Dans le cadre des audiences publiques tenues en amont de cette commission d’enquête du BAPE, plusieurs citoyens et organisations ont exprimé d’importantes réserves et préoccupations devant un projet dont les coûts humains et environnementaux supplantent à l’évidence la liste des bénéfices économiques. Le courage politique et la ténacité de la population de Rouyn-Noranda ont donné un nouveau visage au concept parfois trop vasouilleux de l’acceptabilité sociale. Passer outre le bien-être de la population pour un projet aux vertus aussi modestes n’est pas recevable.
Ce texte fait partie de notre section Opinion. Il s’agit d’un éditorial et, à ce titre, il reflète les valeurs et la position du Devoir telles que définies par son directeur en collégialité avec l’équipe éditoriale.