Du réveil climatique au piétinement
Déjà 25 ans depuis l’an 2000. L’équipe éditoriale du Devoir vous propose un regard à la fois caustique et porteur d’espoir, dans la mesure du possible, sur les grands événements et tendances qui ont façonné ce premier quart de siècle. Aujourd’hui : le réveil climatique.
Tournant des années 2000. La population du Québec vient à peine de voir apparaître le concept de recyclage, et les cueillettes collectives des matières recyclables n’ont pas partout la cote. Dans la foulée du déluge du Saguenay, survenu à l’été 1996 à la faveur d’une série d’inondations ayant touché le Nord-du-Québec, le journaliste à l’environnement du Devoir, le précurseur Louis-Gilles Francœur, fait état d’une contamination importante de la rivière Saguenay, conséquence du désastre naturel survenu quatre ans plus tôt.
Le Québec se relève à peine d’une crise du verglas qui a perturbé son réseau hydroélectrique de manière gravissime. Les images de dizaines de milliers d’oiseaux morts, englués dans les tonnes de mazout échappées au large de la Bretagne par le pétrolier Érika, ont frappé l’imaginaire. Le phénomène océanographique El Niño ne meuble pas les discussions, mais on commence tranquillement à lui reconnaître une incidence mondiale et à tisser un lien entre la période chaude qu’il entraîne et les changements climatiques planétaires.
Derrière nous, 25 ans ont marqué l’ère du réveil climatique. Aujourd’hui, l’urgence d’agir pour sauver le globe se hisse au rang des priorités pour les populations du monde entier. Mais il subsiste un préoccupant paradoxe entre cette conscience généralisée de devoir agir vite et l’engourdissement crasse des gouvernements ; et aussi des citoyens, qui rechignent encore à modifier de manière draconienne leur quotidien pour le bien de l’environnement. Le Baromètre de l’action climatique 2024 nous apprend que 93 % des Québécois recyclent et que 85 % affirment tout faire pour diminuer le gaspillage alimentaire. Toutefois — déception et paradoxe —, les mesures destinées à avoir le plus grand impact pour réduire l’empreinte carbone demeurent impopulaires : le transport en auto demeure le moyen privilégié de 73 % de la population, et seuls 39 % affirment avoir diminué leur consommation de viande.
Voilà des décennies que le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat produit rapports et bulletins pour suivre l’évolution des changements climatiques, et son incitation à agir de manière urgente croît avec le temps. Il y a eu de belles bouffées d’espoir, au moment par exemple de la signature de l’Accord de Paris en 2015. On célébrait alors la prise de conscience mondiale et l’engagement collectif à renforcer les efforts pour limiter l’augmentation de la température moyenne mondiale bien au-dessous de 2 °C et, si possible, à limiter cette augmentation à 1,5 °C. Il était permis de croire que l’avenir serait fait d’espoir.
Hélas ! Le dernier bulletin de l’Organisation météorologique mondiale (OMM) classe 2024 comme l’année la plus chaude jamais enregistrée et révèle une température moyenne mondiale de janvier à septembre 2024 dépassant de 1,54 °C (± 0,13 °C) les niveaux préindustriels. « La perte de glace des glaciers, l’élévation du niveau de la mer et le réchauffement des océans s’accélèrent, note l’OMM. Les conditions météorologiques extrêmes font des ravages dans les collectivités et les économies du monde entier. » Pour couronner le tout, les États-Unis viennent d’élire un président climatosceptique qui n’a de cesse de vanter le recours aux énergies fossiles !
Après le réveil, le piétinement ? Le dernier cycle de lutte contre les changements climatiques a vu les individus sombrer souvent dans une forme de fatalisme menant à l’inaction. Déçus et las de voir les gouvernements du monde entier promettre des changements majeurs qui jamais ne viennent car ils déplairaient trop à l’électorat, des citoyens ont sombré dans un pessimisme paralysant. L’individualisme s’opposant à la force collective, des gestes importants pour permettre une réduction des gaz à effet de serre ne sont pas posés. L’automobile règne, le pétrole coule à flots.
Ce sont les jeunes générations qui détiennent les clés d’un véritable changement de paradigme. Ces écoanxieux, qui ont vu la militante et écologiste suédoise Greta Thunberg protester haut et fort contre l’inaction politique, ne peuvent pas sombrer dans l’apathie. Ils vivent déjà l’impact du réchauffement et la cadence accélérée des changements ne laisse rien présager de bon pour leurs enfants et petits-enfants. L’indifférence n’est pas une option.
Dans le monde entier, des actions en justice climatique ont forcé des gouvernements à agir, car au nom du droit à un environnement sain, ces jeunes ont investi les tribunaux pour contrer l’indolence politique. À La Haye, il y a trois semaines, la Cour internationale de justice a entamé un processus historique, en entendant plus de 100 pays et organisations sur l’établissement d’un cadre juridique dictant la manière dont les pays devraient mener la lutte aux changements climatiques. L’avis de la cour, qui sera rendu au cours de la prochaine année, pourrait devenir un fabuleux instrument d’espoir.
Ce texte fait partie de notre section Opinion. Il s’agit d’un éditorial et, à ce titre, il reflète les valeurs et la position du Devoir telles que définies par son directeur en collégialité avec l’équipe éditoriale.