Rétropédalage à un pied

Justin Trudeau y est allé d’une volte-face en deux temps dans le dossier de l’immigration. La révision du parcours était télégraphiée depuis près d’un an, l’accueil d’étudiants étrangers ainsi que de travailleurs étrangers au Canada ayant été tour à tour resserré. Ce qui ne laissait pas pour autant présager le retournement complet annoncé par le premier ministre en ce qui a trait à l’immigration permanente. Non seulement ce seuil d’accueil sera-t-il considérablement abaissé, mais la rhétorique même du gouvernement libéral s’est, en l’espace de quelques mois, entièrement métamorphosée.

Ainsi, Justin Trudeau a-t-il fini par reconnaître la semaine dernière que la politique d’immigration pléthorique postpandémique de son gouvernement n’avait « pas atteint tout à fait le bon équilibre ». De la part d’un premier ministre notoirement indolent (comme en témoignent la fermeture tardive du chemin Roxham ou les visas levés puis réimposés aux ressortissants du Mexique), l’euphémisme traduit néanmoins un rétropédalage important.

Que son ministre de l’Immigration, Marc Miller, concède désormais que la diminution du volume de migration allégerait le besoin criant de logements (lui qui certifiait que les nouveaux arrivants contribueraient eux-mêmes à la construction du parc immobilier) est tout aussi remarquable.

La crainte obstinée de renier les valeurs et l’ADN libérales, en rééquilibrant plus tôt les seuils d’accueil, semble aujourd’hui dissipée par la menace d’un effritement du consensus populaire (surtout hors Québec) sur l’immigration canadienne. Pour la première fois en un quart de siècle, une majorité de Canadiens jugent que le Canada accueille trop d’immigration, révèle Environics — 58 % à l’échelle canadienne, soit une hausse de 14 points de pourcentage en l’espace d’à peine un an, tandis qu’au Québec, 46 % des répondants partagent cet avis, une moindre hausse de neuf points.

Les doléances du Québec, qui étaient accueillies à Ottawa par des insinuations d’intolérance à peine voilées, sont désormais, puisque partagées, dignes d’adaptations urgentes pour préserver « la fierté, la confiance » à l’endroit de l’immigration.

Le recadrage arrive un peu tard. Il n’en est toutefois pas moins important. Dès l’an prochain, le Canada n’accueillera pas 500 000 résidents permanents comme prévu, mais 395 000, soit 20 % de moins, et le seuil décroîtra encore pour les deux années suivantes. La croissance de la population canadienne en 2025 et 2026 s’en trouvera, elle aussi et pour la toute première fois, en décroissance. Le poids démographique du Québec continuera cependant de baisser. Les cibles fédérales demeurent malgré tout bien au-dessus du seuil établi en 2015 à l’arrivée du gouvernement Trudeau (272 000 nouveaux arrivants permanents) de même que prépandémie (341 000 en 2019). Et encore cette fois-ci, le fédéral n’a évidemment pas consulté le Québec en amont.

En concédant enfin son constat d’échec et en l’accompagnant d’un nécessaire recalibrage, il y a lieu d’espérer que Justin Trudeau ait au moins désamorcé avant la prochaine campagne électorale fédérale un autrement probable âpre débat.

Au tour du gouvernement québécois de passer aux actes. Il ne suffira pas au premier ministre François Legault de déplorer que le changement de cap d’Ottawa ne soit « pas une grosse baisse ». Ce leitmotiv sur l’inaction fédérale est archi-usé.

Son gouvernement caquiste devra une fois pour toutes se faire plus loquace, en dévoilant cette semaine son propre seuil d’immigration pour l’année prochaine, et démontrer qu’il saisira ses leviers pour resserrer lui-même l’accueil sur son territoire. Y compris celui d’immigrants temporaires, dont il déplore le nombre sans proposer davantage que des mesures bien plus limitées que celles du fédéral, sur lequel il aime tant taper.

La cible de réduction d’accueil temporaire d’Ottawa est pour le moins ambitieuse (à 5 % de la population, alors qu’elle grimpait à 7 % cette année et que le fédéral aurait perdu la trace d’un million de détenteurs de permis non renouvelés) et soulève son lot de questions. Le gouvernement québécois ne chiffre toutefois même pas ses propres plafonds.

François Legault se trouve au contraire doublé à la fois par Ottawa et le Parti québécois (PQ), qui, tous deux, proposent maintenant une feuille de route (quoique celle du PQ soit bien plus radicale et pas nécessairement en tous points réaliste) pour réduire l’immigration permanente de même que temporaire, en priorisant de surcroît ces derniers pour la résidence permanente.

Le chef péquiste, Paul St-Pierre Plamondon, a cependant pris un sinistre et insidieux détour en faisant porter sur l’immigration la baisse de natalité au Québec, par le biais de la faute au manque de logements et de services sociaux.

Le débat québécois menaçait déjà de sombrer dans les envolées alarmistes. Voilà qui fait d’autant plus craindre une préoccupante guerre de chiffres et une dérive déshumanisée, qu’il vaudrait mieux prendre soin de laisser aux dérapages constatés à l’étranger.

Ce texte fait partie de notre section Opinion. Il s’agit d’un éditorial et, à ce titre, il reflète les valeurs et la position du Devoir telles que définies par son directeur en collégialité avec l’équipe éditoriale.

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