En réplique à Trump, des «Capitaines chacun pour soi»
Le faux-semblant de front commun des provinces, face à l’imminente menace de guerre commerciale de Donald Trump, aura été de bien courte durée. L’espoir d’une approche coordonnée et concertée pour répliquer aux tarifs douaniers brandis par le président désigné s’est presque instantanément envolé à la suite de la rencontre des premiers ministres provinciaux la semaine dernière. À l’issue de laquelle ces derniers se sont tant affairés à rivaliser pour décrocher le titre de « Capitaine Canada » qu’ils ne se sont finalement révélés que des capitaines du chacun-pour-soi.
Tout au plus, les dirigeants provinciaux s’entendent sur l’évidence même qu’il faut parvenir à exempter l’économie canadienne de l’assaut annoncé de Donald Trump. De même que pour reprocher tous en chœur à leur homologue fédéral démissionnaire, Justin Trudeau, d’avoir précarisé la position de négociation du Canada. Or, ce vacuum en matière de leadership à Ottawa est comblé par une discordance des provinces qui n’est en rien plus susceptible de convaincre l’intimidateur Trump de les épargner.
Qu’elles prônent la voie de la diplomatie et de la pédagogie, ou celle de l’escalade et de la provocation, toutes prêchent d’abord et avant tout pour leurs propres intérêts. Les plus volubiles sont d’ailleurs les plus dépendantes de ce commerce avec les Américains — l’Alberta envoie 89,6 % de ses exportations au sud de la frontière, l’Ontario 85 %, le Québec 74 % et la Colombie-Britannique 57 %.
Pas étonnant, donc, que la première ministre albertaine, Danielle Smith, se soit déplacée jusqu’à Mar-a-Lago pour rappeler au prochain président que le déficit commercial qui l’horripile découle de sa dépendance irrémédiable au pétrole canadien (97 % de nos exportations d’or noir alimentent le pays, plus de 87 % provenant de l’Alberta). Un plaidoyer soi-disant pour le convaincre de dispenser l’ensemble des produits canadiens, mais aussi, au passage, pour relancer des projets d’oléoducs de l’Alberta vers les États-Unis.
L’Ontarien Doug Ford a quant à lui brandi l’idée de riposter à l’offensive tarifaire en fermant les robinets de pétrole et d’électricité à destination des Américains — dont l’Alberta et le Québec sont respectivement les plus gros exportateurs. David Eby, en Colombie-Britannique, priverait les États-Unis de minéraux, y compris de minéraux critiques — dont le Québec et l’Ontario sont les plus gros vendeurs (respectivement 24 % et 40 % des exportations canadiennes).
Doug Ford est même allé jusqu’à confesser que Mme Smith parle au nom des Albertains, et lui, strictement au nom des Ontariens. Trop préoccupé à préparer son terrain électoral, il se met à oublier qu’il préside le Conseil de l’entièreté de la fédération.
La mission des provinces à Washington le mois prochain s’annonce pour le moins cacophonique. Justin Trudeau aura fort à faire, mercredi, pour rallier tout ce beau monde en lui présentant un projet de riposte tarifaire à la hauteur de ses attentes.
Pendant ce temps, le premier ministre du Québec, François Legault, s’est fait plus que discret. Son appel à garder « la tête froide », sur le réseau X, n’était pas inopportun. Il faudra cependant aussi rassurer les Québécois, leur montrer que leurs intérêts économiques ne sont pas noyés dans ce débat pancanadien.
Car personne ne s’entend non plus, à moins d’une semaine de l’entrée en poste de M. Trump, sur la stratégie à adopter. Doug Ford et le chef néodémocrate, Jagmeet Singh, réclament que le Canada hausse le ton. M. Legault et Mme Smith préfèrent le dialogue. Tout comme le chef conservateur Pierre Poilievre, qui préconise somme toute l’approche Trudeau, soit de conscientiser élus américains, chefs d’entreprises et dirigeants syndicaux des contrecoups économiques qui les guettent. M. Poilievre se garde toutefois de fournir sa part d’efforts, et ce, bien que son propre député Jamil Jivani soit un ami de longue date du vice-président désigné, J.D. Vance. Seul le bloquiste Yves-François Blanchet, parmi l’opposition fédérale, semble s’élever au-dessus de la mêlée.
Pour le reste, on est loin de l’équipe Canada, transparlementaire et transpartisane, ayant tenu tête à M. Trump lors de son premier mandat. Et de cette trempe de politiciens étant capables de mettre les intérêts du pays devant ceux de leur parti.
L’ancien premier ministre conservateur Stephen Harper est venu en servir un rare rappel salutaire. Tout en se permettant de critiquer Justin Trudeau, il a souligné aux Américains que les Canadiens choisissaient seuls leurs propres dirigeants et s’est avoué étonné des propos erronés de Donald Trump n’ayant rien de ceux d’un « ami, d’un partenaire et d’un allié ».
Jean Chrétien a renchéri, en écrivant dans sa lettre ouverte que les dirigeants politiques ne sont pas des ennemis, mais des adversaires tentant chacun d’apporter une contribution positive. « Cet esprit est plus important que jamais », a-t-il intimé.
Permettons-nous d’espérer que cette vision de la politique ne soit pas résolument d’une autre époque, vision dont le Canada, face à l’instable géant américain intransigeant, a encore grand besoin.
Ce texte fait partie de notre section Opinion. Il s’agit d’un éditorial et, à ce titre, il reflète les valeurs et la position du Devoir telles que définies par son directeur en collégialité avec l’équipe éditoriale.