Profiter des soldes climatiques

En panne de muscle et avare de consensus, la conférence de l’ONU sur le climat (COP29) aura réussi l’exploit de mécontenter tout le monde. Les épithètes accolées à l’accord de Bakou — obtenu aux forceps dimanche après deux jours de prolongation chaotiques — auront permis d’épuiser les champs lexicaux de la déception et de la colère. Elles auront surtout rappelé au monde combien il est facile d’acheter au rabais du temps… qu’on n’a pas.

L’urgence climatique a fini de piaffer dans l’antichambre. Quelques jours avant que ne s’ouvre la COP29, le service européen Copernicus annonçait que l’année 2024 serait quasi certainement l’année la plus chaude jamais enregistrée. Ce devrait surtout être la première année à accuser une hausse de la température moyenne du globe de 1,5 °C au-dessus de la période préindustrielle. Avec les conséquences que l’on sait.

Tous les pays devraient être au taquet. Mais voilà, il y a l’économie qui les préoccupe au plus haut point, des guerres et des luttes électorales à préparer, si bien que les pays développés — dont le Canada, les États-Unis et plusieurs pays européens — préfèrent aborder ces nouveaux indicateurs un chéquier à la main. Du temps, ça s’achète aisément si l’on met les bouchées doubles. À plus forte raison si l’on met les bouchées triples.

Obtenu à l’arraché, l’accord de Bakou n’est pas « aussi ambitieux que le moment l’exige », comme l’a résumé habilement l’architecte de l’accord de Paris, Laurence Tubiana. Reste que le passage de 100 milliards par an à « au moins 300 milliards » par an d’ici 2035 consenti par les pays riches est substantiel vu combien la conjoncture économique et politique mondiale leur est défavorable ces jours-ci. L’argumentaire n’a pas convaincu grand monde parmi les pays en développement, qui ont plutôt jugé cette aide trop faible, trop tardive, trop ambiguë.

Leurs doléances sont dures, mais elles ne sont pas dénuées de fondements. D’abord, il est vrai que le triplement est une vue de l’esprit, sachant que l’inflation aura permis de rétrécir l’écart entre les milliards versés au début du programme et ceux versés aujourd’hui. Sans compter que l’entente élargit de facto le groupe des contributeurs appelés à faire leur juste part d’efforts. Ça fait plus d’épaules sur lesquelles s’appuyer, et c’est tant mieux, car il en faut !

Selon les calculs des experts de l’ONU, ces 300 milliards sont cependant à des lieues des 1300 milliards jugés nécessaires pour aider efficacement et durablement les pays en développement à faire leur transition énergétique et à s’adapter aux conséquences d’un réchauffement climatique qu’ils sont plus nombreux que les autres à vivre aux premières loges.

Déraisonnables, tous ces milliards ? Tout dépend de l’échelle à partir de laquelle on fait ses calculs. Un transfert annuel de 1300 milliards, c’est objectivement considérable, mais ça reste inférieur aux 1700 milliards de dollars par an que pourrait rapporter un impôt taxant jusqu’à 5 % de la fortune des multimillionnaires et des milliardaires, selon des calculs faits par Oxfam et l’Institute for Policy Studies. C’est aussi moins que les dépenses militaires annuelles de l’OTAN.

Bien entendu, cela reste des sommes immenses. On a vu trop de programmes internationaux détournés par des gouvernements à l’éthique élastique, que ce soit pour nourrir une guerre ou enrichir une élite, par exemple. Les redditions de comptes en matière d’aide climatique devront donc être considérablement resserrées si l’on veut que les pays appelés à donner aux suivants aient le goût d’ouvrir les cordons de leurs bourses plus grands.

Les grandes instances internationales comme la COP ont par ailleurs beaucoup de chemin à faire pour convaincre les citoyens de leur utilité et de la persistance des gains qu’elles sont capables de faire. Prenez la question des gaz à effet de serre (GES), qui mobilise les discussions nationales partout sur le globe. Quid des GES à Bakou ? Rien, ou si peu. C’est un débat qui sera plutôt fait l’année prochaine, au Brésil.

Les mots aussi sont importants. Et ils ont déçu cette année encore. Prenez le mot « transition ». Il avait fait une apparition remarquée l’an dernier dans le texte de la COP28, qui énonçait noir sur blanc, et pour la première fois, la nécessité d’une « transition » hors du pétrole, du gaz et du charbon. Sorti à la onzième heure du chapeau de la présidence controversée de Sultan al-Jaber, le mot qui fâche est disparu du texte de la COP29, sinon rendu implicite pour rappeler les gains de Dubaï. Pouf, magie !

Les plus cyniques ont déjà conclu à l’échec de Bakou, et plus largement à la faillite de ces rendez-vous internationaux qui avancent à bien petits pas, quand ils ne reculent pas. Il faut dire que la fin en queue de poisson de la Conférence de Cali sur la biodiversité, au début du mois, avait déjà jeté une ombre funeste sur la COP29. À Bakou, les parties ont elles aussi flirté avec l’impasse avant de se ressaisir. Même s’il n’en est pas ressorti grandi, le multilatéralisme aura au moins réussi à faire la preuve qu’il n’est pas mort. Du moins, pas encore.

Ce texte fait partie de notre section Opinion. Il s’agit d’un éditorial et, à ce titre, il reflète les valeurs et la position du Devoir telles que définies par son directeur en collégialité avec l’équipe éditoriale.

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