Poussées de conservatisme chez les jeunes
Qui a dit que les jeunes générations étaient toutes nées sous l’étoile du progressisme, de l’ouverture d’esprit et de la lutte contre les préjugés ? Cette idée préconçue en prend pour son rhume à la lumière d’un récent sondage montrant une préoccupante hausse de l’intolérance à la diversité sexuelle dans les écoles du Québec. La consultation menée par le Groupe de recherche et d’intervention sociale (GRIS-Montréal) dans cinq régions du Québec révèle le malaise grandissant d’un bon nombre de jeunes face aux questions d’homosexualité et de transidentité. Ce recul alarmant n’est pas étranger à la montée en puissance des discours haineux dirigés vers les minorités sexuelles dans l’espace politique et sur les réseaux sociaux.
L’analyse du GRIS a été faite à partir de quelque 35 700 questionnaires remplis par des élèves du secondaire entre 2017-2018 et 2023-2024. Les réponses des jeunes ont désarçonné les responsables, qui y ont décelé un recul d’environ 20 ans.
Invités à décrire leur niveau d’aisance avec des scénarios impliquant des personnes issues des communautés LGBTQ+, les jeunes ont traduit un inconfort grandissant avec le fait d’avoir une meilleure amie lesbienne (15,2 % de « mal » ou de « très mal à l’aise » en 2017, et 33,8 % en 2024). Quelque 40,7 % des jeunes ne seraient pas à l’aise d’avoir un meilleur ami gai en 2024, alors qu’ils étaient 24,7 % sept ans plus tôt. Le concept d’homoparentalité, pourtant bien ancré dans la société, rend de plus en plus de jeunes mal à l’aise.
Le Québec est reconnu comme un chef de file sur la scène internationale en matière de reconnaissance et de respect des droits des personnes LGBTQ+. Sa charte des droits a inscrit un critère de discrimination fondée sur l’orientation sexuelle dès 1977, avec un ajout sur l’identité ou l’expression de genre en 2016, ainsi que le rappelle le gouvernement du Québec dans son Plan d’action gouvernemental de lutte contre l’homophobie et la transphobie 2023-2028. L’union civile pour les couples de même sexe est possible depuis 2002, et le mariage depuis 2005. Les personnes trans majeures peuvent, depuis 2015, obtenir des documents d’état civil correspondant à leur identité de genre sans avoir à subir d’intervention chirurgicale. Ces signaux ne mentent pas : l’appareil politique a ouvert la voie à une société d’ouverture et de tolérance.
Toutefois, la montée en puissance des discours haineux vient grever les efforts louables effectués dans la structure.
Statistique Canada révélait l’automne dernier que l’augmentation des crimes haineux déclarés par la police dans le pays s’expliquait entre autres par la recrudescence de crimes ciblant une orientation sexuelle (+12 %). Les poussées de conservatisme observées chez les jeunes ne touchent pas seulement le Québec, mais s’inscrivent dans une tendance mondiale observée en France, au Royaume-Uni, aux États-Unis. La polarisation de la société sur ces sujets délicats, conjuguée aux manifestations de discrimination et de violence anti-LGBTQ+ sur les réseaux sociaux, a provoqué un changement de paradigme inquiétant. La tolérance à la différence n’est pas un acquis.
S’agit-il d’un ressac causé par des excès d’exposition au discours portant sur les identités de genre, fortement décrié par les mouvements plus conservateurs ? Dans les derniers mois, par exemple, on a vu plusieurs inquiétudes — parfois érigées sur de très fausses prémisses — sur l’école et la diversité sexuelle discutées farouchement, comme si on encourageait les enfants à choisir leur genre en classe. On peut penser aussi à tout le bruit occasionné sur le terrain par les toilettes mixtes ou l’heure du conte animée par des drag queens à la bibliothèque, reçue dans certains cercles comme de l’embrigadement.
Le 47e président des États-Unis, Donald Trump, intronisé lundi, a fait campagne sur une série de propos destructeurs et mensongers dirigés contre les personnes trans, notamment, ce qui fait craindre le pire à la communauté LGBTQ+ américaine. Il a rappelé dès lundi que seuls deux sexes prévalaient et entend attaquer de front des programmes de soutien à la diversité sexuelle.
Au Canada, le chef conservateur et favori d’une prochaine campagne électorale, Pierre Poilievre, reste ambivalent sur ces questions délicates et doit diriger un caucus déchiré, comme l’est la population. M. Poilievre a déjà tenu des propos controversés sur la place des femmes trans dans des lieux réservés aux femmes — et s’est déjà dit contre les bloqueurs de puberté pour tous les mineurs —, mais on ne sait pas encore ce qu’il ferait, s’il était élu, notamment au sujet de l’interdiction d’interventions chirurgicales ou médicales chez les mineurs, que ses militants réclament à grands cris.
La sensibilisation et l’éducation demeurent les vecteurs les plus puissants pour contrer la désinformation et lutter contre les préjugés et stéréotypes menant à la violence. Rien n’est acquis en ce bas monde, et surtout pas les droits et protections gagnés de haute lutte par les communautés LGBTQ+, aujourd’hui à nouveau menacés.
Ce texte fait partie de notre section Opinion. Il s’agit d’un éditorial et, à ce titre, il reflète les valeurs et la position du Devoir telles que définies par son directeur en collégialité avec l’équipe éditoriale.