Froid et dégel dans le Nord
Après des années d’attentisme, le gouvernement Trudeau durcit le ton dans ses relations avec la Chine et la Russie relativement aux eaux et territoires de l’Arctique, que les changements climatiques transformeront en eldorado de l’exploitation des ressources naturelles et en zone d’affrontement géostratégique.
La nouvelle Politique étrangère du Canada pour l’Arctique rompt avec l’idée qu’il s’agit d’« une zone de faible tension, qui est à l’abri de toute concurrence militaire ». C’est plutôt le contraire. L’invasion de l’Ukraine par la Russie a démontré de manière sinistre que le régime Poutine n’avait que faire de la diplomatie dans la résolution des conflits internationaux. C’est un acteur belliqueux, soumis à la lourde influence de la Chine, qui ne cache pas ses ambitions polaires. Les deux pays font même des exercices militaires conjoints et patrouillent ensemble dans les eaux internationales de l’Arctique.
Le territoire russe s’étend sur environ la moitié de l’Arctique, une région occupée aussi par le Canada, le Danemark, les États-Unis, la Finlande, l’Islande, la Norvège et la Suède. Ces pays sont tous membres du Conseil de l’Arctique, une instance secouée par la nouvelle approche va-t-en-guerre de Moscou. La Chine est située à 1500 kilomètres de l’Arctique, mais la géographie n’a pourtant pas de limites sur ses ambitions. Pour son approvisionnement en gaz et en pétrole russes, Pékin est lié à Moscou dans un projet de création d’une « route de la soie polaire » qui deviendra vite une réalité.
Le réchauffement climatique est quatre fois supérieur à la moyenne mondiale dans l’Arctique. Des zones jadis glacées jusqu’à l’horizon sont maintenant accessibles certains mois de l’été. D’ici 2050, le passage du Nord sera probablement navigable même en hiver, permettant de relier l’Europe et l’Asie de l’Est. La région est riche en minéraux critiques pour la réussite de la transition énergétique : lithium, graphite, nickel, cobalt, cuivre, etc.
À ce chapitre, la question n’est pas de savoir si les ressources resteront enfouies ou non, mais plutôt de prédire quels pays réussiront à les extraire. La politique étrangère canadienne, malgré son originalité, risque de décevoir les environnementalistes puisqu’elle parle très peu de la conservation des écosystèmes fragiles. C’est d’abord une affaire d’affirmation de la souveraineté nationale, de promotion des intérêts du Canada dans la région et de recherche de prospérité et de stabilité dans le Nord.
De passage au Conseil des relations internationales de Montréal, la ministre des Affaires étrangères, Mélanie Joly, a résumé par une image percutante la nouvelle approche du Canada. Sa géographie ne le protège plus à l’heure des changements climatiques. Il doit passer d’une approche « Nord-Sud » à une approche « Nord-Nord » dans la gestion de l’Arctique.
La politique fait la part belle aux Inuits et aux Premières Nations comme acteurs de la coopération internationale, ce qui nous force à un devoir de recadrage. Les frontières de ce territoire, revendiqué et convoité par les puissances mondiales, ne peuvent faire abstraction de l’occupation millénaire par les peuples autochtones. Le Nunavut, d’une superficie de plus de deux millions de kilomètres carrés, est à peu près aussi vaste que le Groenland. La voix des Premières Nations doit compter dans la conversation sur l’avenir de l’Arctique.
Le Canada promet d’accroître ses dépenses militaires et son occupation du territoire nordique, entre autres en faisant l’acquisition d’une flotte de brise-glace, mais il n’est pas de taille pour rivaliser avec la Chine et la Russie. Ce n’est pas pour rien que la région est désignée 13 fois comme « l’Arctique nord-américain » dans la politique, qui en appelle à une coopération avec les États-Unis.
Avec l’admirateur de Poutine et amoureux des guerres tarifaires avec le Canada de retour à la Maison-Blanche, cet appel à la coopération pourrait demeurer à l’état de vœu pieux. C’est d’autant plus plausible que les États-Unis eux-mêmes ne reconnaissent pas la souveraineté nationale du Canada dans la mer de Beaufort, source de différend frontalier entre les deux alliés. Il faut donc saluer le rapprochement du Canada avec les pays scandinaves membres de l’OTAN, de même que sa volonté d’ouvrir des consulats au Groenland et en Alaska. C’est l’expression d’une « diplomatie pragmatique » portée par l’espoir que le Canada augmente son influence par la diversification de ses alliances.
En définitive, le sérieux du Canada sera jugé par ses alliés états-unien et de l’OTAN en fonction de sa capacité à respecter ses engagements en matière de financement des dépenses militaires. Le Canada est encore loin de l’objectif d’y consacrer 2 % de son PIB : la contribution actuelle est d’environ 1,37 %, selon les estimations du Bureau du directeur parlementaire du budget. Sans un plan sérieux pour atteindre l’objectif de 2 % d’ici 2032-2033, et privé de marge de manœuvre fiscale en raison de déficits répétés, le Canada court le risque d’insulter les alliés qu’il courtise.
Son influence sur l’Arctique s’en trouverait diminuée, malgré la noblesse de ses intentions.
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