Le point de non-retour est dépassé
Le cap climatique fatidique est maintenant franchi. L’année qui s’achève fracassera tous les alarmants records, s’annonçant non seulement comme la plus chaude de l’histoire, mais de surcroît comme la toute première à dépasser la barre du 1,5 °C de réchauffement planétaire. Un signal d’alarme que l’on aurait espéré catalyseur d’un urgent coup de barre international, mais qui, au lendemain d’un automne peu fertile au chapitre de l’action climatique, laisse au contraire présager des saisons de négligence subséquentes.
L’observatoire européen Copernicus vient de confirmer que le mois de novembre 2024 aura été le 16e des 17 derniers mois à enregistrer une température moyenne dépassant de plus de 1,5 °C celle de la période préindustrielle. Au-delà des frontières de l’Europe, c’est notamment dans l’est du Canada que les températures ont fracassé par la plus grande différence les moyennes des récentes années. Avec les conséquences à venir que l’on connaît. Et les catastrophes naturelles que l’on subit déjà.
La cible la plus ambitieuse de l’Accord de Paris vient de voler en éclats. Certes, le réchauffement climatique ne se mesurera pas en une seule année, mais sur plusieurs. Reste que la trajectoire du réchauffement planétaire annonce une hausse d’au minimum 2,6 °C — si, et seulement si, les nations tiennent leurs promesses. « Cela ne signifie pas que l’Accord de Paris a été enfreint, mais implique qu’une action climatique ambitieuse est plus urgente que jamais », prévient le Service concernant le changement climatique (C3S) de l’observatoire Copernicus.
Si au moins la communauté internationale semblait du même avis. Les conférences onusiennes de l’automne sur le climat viennent toutefois de se clore, les unes après les autres, sur fond de déception, voire d’inaction.
Une COP29 ayant convenu d’une enveloppe d’aide climatique de la part des pays riches jugée si insuffisante, aux yeux des nations en voie de développement, que le Nigeria prévenait en quittant l’Azerbaïdjan qu’il serait « irréaliste » de leur demander en retour des objectifs climatiques ambitieux. Sans compter que la « transition » vers une sortie de la dépendance aux énergies fossiles, sitôt intégrée l’an dernier, vient d’être évacuée.
À Cali, en Colombie, la COP16 sur la biodiversité a achoppé, le quorum ayant été perdu au fil d’une nuit de pourparlers. À Busan, en Corée du Sud, les négociations en vue d’établir un tout premier traité de lutte contre le plastique ont carrément échoué, après cinq étapes et deux ans de conversations. Les deux forums doivent reprendre leurs discussions à une date ultérieure.
Et ce, alors qu’une étude nous apprenait qu’aux sécheresses, aux canicules et aux pluies torrentielles ravageant déjà le territoire s’ajoutent des incendies ayant propagé une pollution atmosphérique telle qu’elle fait 1,5 million de morts par an.
Le multilatéralisme a du plomb dans l’aile en environnement, malgré les plus troublants avertissements récurrents. Il demeure néanmoins la seule voie propice à convaincre les récalcitrants, si timides soient les gestes consentis.
À l’ombre des difficultés économiques et d’une colère populaire nourrie par la hausse du coût de la vie, des gouvernements et des partis politiques délaissent la priorité climatique. Un pari électoral de courte vue, négligeant la facture dont ils hériteront inéluctablement pour réparer les dégâts des catastrophes naturelles (25 milliards de dollars retranchés à la croissance économique canadienne l’an prochain) et implanter des mesures d’adaptation au réchauffement du climat (les besoins atteignant plus de 5 milliards par année juste pour les municipalités au pays).
D’autant plus que les citoyens n’ont pas pour autant sacrifié toute ambition en environnement. Au Canada, 70 % d’entre eux souhaitent voir le prochain gouvernement fédéral en faire davantage, quel qu’il soit, selon un sondage Léger mené pour le compte d’Équiterre. Les chiffres diffèrent entre les électeurs conservateurs (50 %) et ceux des partis progressistes (92 % chez les libéraux et les néodémocrates, 96 % pour les bloquistes).
L’aide aux agriculteurs, le soutien à la création d’emplois de transition et le financement du transport collectif ont davantage la cote que la réglementation des émissions de gaz à effet de serre, celle liée au plastique ou la tarification de la pollution. Mais voilà simplement un judicieux rappel que la réponse à l’anxiété financière populaire ne passe pas simplement par le désengagement en environnement.
Le respect de la promesse du gouvernement canadien d’atteindre la carboneutralité en 2050 récolte en outre 60 % d’appuis, quoiqu’à peine 42 % chez les partisans conservateurs.
Face à la guerre en Ukraine, les pays de l’Occident ont convenu de mettre les bouchées doubles en dépenses militaires pour protéger l’Europe des visées impérialistes du voisin russe. La menace climatique est tout aussi existentielle.
Les États du monde feraient bien de se le rappeler, car leurs populations n’ont pas pour leur part abdiqué, gardant l’espoir de déjouer les prochains pronostics fatalistes.
Ce texte fait partie de notre section Opinion. Il s’agit d’un éditorial et, à ce titre, il reflète les valeurs et la position du Devoir telles que définies par son directeur en collégialité avec l’équipe éditoriale.