La maison, lieu de tous les dangers pour les femmes
Comme il est malheureux d’avoir l’embarras du choix, dans le bouillonnement des actualités, pour illustrer l’effroyable réalité de la violence faite aux femmes, ici en particulier et sur le globe en général. On peut citer en exemple le cas de Bert Laird Crawford, qui comparaît cette semaine pour avoir apparemment tenté de heurter son ex-conjointe avec une hache la semaine dernière, à Laval. L’homme de 70 ans était en libération conditionnelle à la suite d’un meurtre commis en 1988.
On pourrait aussi revenir sur l’histoire aussi ahurissante qu’abominable des viols de Mazan. En France, Gisèle Pelicot a subi les violences inouïes imaginées par son désormais ex-conjoint, Dominique Pelicot : il l’a droguée à son insu pour la violer et la livrer, inconsciente, à des hommes recrutés sur Internet venus eux aussi l’agresser dans son propre lit. Le stratagème, qui est au centre d’un procès qui se termine ces jours-ci, a duré de 2011 à 2020. On n’aurait pu imaginer scénario plus monstrueux et abject.
Au Québec, au moins 11 meurtres conjugaux confirmés ont emporté des femmes en 2024. Il y en aurait 10 de plus à ajouter à la liste des cas de femmes mortes aux mains d’un conjoint ou d’un ex-conjoint. Très souvent, ils les ont assassinées dans un cadre qui aurait dû être sécuritaire, celui de la maison. Exactement comme le confirme le dernier rapport d’ONU Femmes sur les féminicides, pour des milliers de femmes subissant la violence d’un proche, le domicile est associé à l’endroit le plus dangereux pour elles. Derrière le calme apparent de la maison, des scénarios d’horreur se jouent. En 2023, quelque 51 100 femmes et filles ont été tuées à la maison par un proche, ce qui représente 60 % de tous les meurtres de femmes sur la planète.
Le cycle de la violence faite aux femmes tourne sur des statistiques qui donnent des haut-le-coeur : « Une femme ou une fille est tuée toutes les 10 minutes par son partenaire intime ou un autre membre de sa famille », résume ONU Femmes. Alors qu’on vient de souligner le 25e anniversaire de la Journée mondiale de lutte contre les violences faites aux femmes et qu’on s’apprête à rappeler le souvenir encore douloureux de la tragédie de Polytechnique, un assaut antiféministe ayant causé la mort de 14 femmes le 6 décembre 1989, voit-on quelque chose poindre à l’horizon pour apaiser nos craintes ?
Il y a ceci : à Ottawa, le projet de loi C-332 visant à ajouter au Code criminel une infraction de « contrôle coercitif » en est à l’étape de la deuxième lecture au Sénat. Cette modification proposée par le Nouveau Parti démocratique et adoptée à l’unanimité à la Chambre des communes en juin dernier est capitale. Le contrôle coercitif est une notion qui vient englober toutes les complexités et facettes de la violence dont sont victimes les femmes dans l’intimité de leur domicile. Comme l’expliquait notre journaliste judiciaire, Stéphanie Marin, dans un article consacré au sujet, c’est « un continuum de gestes violents qui ne se limitent pas aux coups, et qui peut se dérouler sur de longues périodes. Il rassemble tout ce qui est utilisé pour violenter, humilier et maintenir sa domination sur une personne : privation de liberté, chantage émotif, contrôle de l’habillement ou de l’argent, etc. »
La prévention et la sensibilisation du public et des forces de l’ordre relativement à ces formes de violence plus insidieuses et moins visibles que l’oeil au beurre noir demeureront sans contredit des axes essentiels pour contrer la violence faite aux femmes.
La pandémie a causé des torts irréparables à nombre de femmes isolées qui ne pouvaient plus sortir de chez elles et qui se sont retrouvées aux mains de leur agresseur en permanence. On ne peut pas non plus minimiser l’impact que la crise du logement ou le manque de places dans les ressources d’hébergement d’urgence peuvent avoir sur le plan de sortie d’une femme voulant quitter son domicile : elles ne savent pas où frapper.
Tout le bruit qui a entouré la sortie du documentaire Alphas, du journaliste Simon Coutu, aura-t-il permis d’éveiller les consciences sur la montée d’un certain discours ultraconservateur flirtant avec le sexisme et la misogynie ? Espérons-le. Car sous un couvert de retour aux valeurs traditionnelles et d’ultramasculinisme, ces influenceurs, qui gagnent en popularité dans certains cercles, ne prennent pas de détours pour affirmer que la femme se doit d’être soumise à l’homme. Il n’y a qu’un pas à franchir ensuite vers ces formes de violence insidieuses qui privent les femmes de liberté et les plongent dans un univers marqué par le contrôle.
Dans un contexte comme celui-là, les parents, bien sûr, peuvent exercer un formidable rôle de passation des valeurs allant à l’encontre de ces attitudes rétrogrades. L’école arrive ensuite en joueur de relève pour renforcer les apprentissages et les réflexions portant sur le vivre-ensemble et le respect censé colorer les relations humaines. À cet égard, le nouveau cours Culture et citoyenneté québécoise, placé entre les mains d’adultes bienveillants, pourrait être un précieux outil de prévention et de sensibilisation pour endiguer certaines violences.
Ce texte fait partie de notre section Opinion. Il s’agit d’un éditorial et, à ce titre, il reflète les valeurs et la position du Devoir telles que définies par son directeur en collégialité avec l’équipe éditoriale.