Les mains vides

Le Bloc québécois y est allé d’un pari risqué en jouant tout son pouvoir de négociation auprès du gouvernement pourtant affaibli de Justin Trudeau avec un seul ultimatum immuable. Sans grande surprise, la partie de poker a été de courte durée. Et les bloquistes en sont ressortis bredouilles. Du moins quant aux gains convoités pour les agriculteurs et les retraités. La gageure électorale, elle, pourrait s’avérer payante… mais à courte vue.

L’intransigeance d’Yves-François Blanchet avait été annoncée. Le chef bloquiste n’accepterait, en échange de son soutien au gouvernement minoritaire libéral, rien d’autre que l’adoption de ses deux projets de loi dans leur forme intégrale et au terme d’un délai de grâce de tout au plus cinq semaines.

La première proposition législative, visant à protéger la gestion de l’offre dans toute négociation commerciale internationale, s’est toutefois retrouvée coincée à la Chambre haute par des sénateurs indépendants que les pressions du gouvernement n’ont pas fait bouger. La seconde, qui viendrait bonifier les pensions de la Sécurité de la vieillesse des aînés de 65 à 74 ans, ne fait pas l’unanimité au sein du gouvernement, où certains la jugent trop coûteuse et mal ciblée. Un compromis aurait cependant pu être proposé, si la Chambre des communes n’était pas paralysée par les conservateurs et si M. Blanchet avait accepté d’accorder un court sursis en attendant une contre-offre du premier ministre libéral, accaparé depuis deux semaines par une grogne à l’interne qu’il doit gérer. Le chef bloquiste a préféré demeurer intraitable.

L’espoir de gains substantiels pour le Québec s’est ainsi évaporé, la survie du gouvernement Trudeau étant maintenant de nouveau entre les mains du Nouveau Parti démocratique, qui ne sera certainement pas celui qui va s’en badrer. Tant pis pour le premier ministre du Québec, François Legault, et pour le chef du Parti québécois, Paul St-Pierre Plamondon, qui auraient souhaité voir le Bloc forcer la main d’Ottawa en immigration. Ou pour des groupes environnementaux comme la Fondation David Suzuki, qui auraient voulu que le parti indépendantiste astreigne le fédéral à cimenter certaines mesures climatiques avant l’arrivée d’un prochain gouvernement conservateur.

M. Blanchet se complaît à caracoler en tête des intentions de vote au Québec. La chute du gouvernement Trudeau lui permettrait d’escompter d’importants gains électoraux, voire de rêver de former l’opposition officielle. Il perdrait en revanche toute marge de négociation face à un gouvernement conservateur majoritaire. Une issue électorale, prédite pour l’instant par tous les sondages, dont les Québécois pourraient bien lui tenir rigueur.

Le parti de Pierre Poilievre demeure moins populaire au Québec (avec 23 % d’appuis, au troisième rang de l’agrégateur de sondages de la CBC, contre plus de 40 % dans tout le reste du Canada, et plus seulement dans les Prairies). Rien ne garantit que le chef conservateur, une fois élu, tendra soudainement l’oreille aux consensus québécois. Bien au contraire, M. Poilievre y étant plutôt en porte-à-faux en matière de contrôle des armes à feu, de transports collectifs ou d’action climatique.

Le Bloc québécois n’est de surcroît pas maître de l’exécution de sa menace. Le parti ne dispose plus de journée d’opposition d’ici les Fêtes pour provoquer le vote de confiance désormais désiré. Il devra s’en remettre au Parti conservateur. Si, et seulement si ce dernier accepte de présenter une motion monosémique, sans artifices partisans ni préjudices des intérêts du Québec.

Or, les conservateurs préfèrent s’entêter à bloquer les travaux des Communes, en étirant depuis plus d’un mois le débat sur une question de privilège portant sur la mauvaise gestion d’une fondation de technologies vertes, faisant fi ainsi de la sacro-sainte séparation des pouvoirs politique et policier. Leur cabale partisane l’emporte, et le parti refuse d’abdiquer — se privant, ce faisant, de ses trois journées d’opposition restantes — tant que le NPD ne promettra pas de s’allier à lui pour renverser le gouvernement.

Le chef néodémocrate, Jagmeet Singh, n’en a aucunement l’intention. Son parti vivote dans les sondages, est essoufflé par les récentes campagnes électorales provinciales et tente encore de se distancier du gouvernement Trudeau, qu’il continuera toutefois de soutenir après l’avoir maintenu au pouvoir pendant trois ans.

Justin Trudeau s’accroche ainsi à son poste, sans pour autant avoir fait la démonstration à son caucus ou aux électeurs qu’il a bel et bien une offre politique renouvelée à leur proposer.

Les partis d’opposition, obnubilés par leur théâtre politique, sont davantage occupés à se prépositionner en vue de la bataille électorale qu’à la déclencher. Devant cette comédie d’erreurs, Justin Trudeau a le champ libre encore un peu plus longtemps.

Ce texte fait partie de notre section Opinion. Il s’agit d’un éditorial et, à ce titre, il reflète les valeurs et la position du Devoir telles que définies par son directeur en collégialité avec l’équipe éditoriale.

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