Insouciance partisane sur l'Ingérence étrangère

Un complot d’assassinat contre un ancien ministre. L’intimidation d’une députée toujours en poste pour s’immiscer dans une course politique. Les plus récentes allégations d’ingérence étrangère en sol canadien se rapprochent effroyablement du centre du pouvoir. Pendant que l’insouciance persistante des instances politiques demeure inexplicable.

L’identité de ces États malfaiteurs est maintenant bien connue, détaillée dans les rapports et dénoncée par les autorités. Qu’à cela ne tienne, loin d’être intimidés, l’Inde, l’Iran et leurs co-perturbateurs poussent leur arrogance et leur mépris de la démocratie canadienne jusqu’à redoubler de provocation.

Ainsi, le Globe and Mail nous apprend que l’ancien ministre libéral de la Justice et député de Mont-Royal, Irwin Cotler, a été la cible d’un complot d’assassinat si préoccupant que la Gendarmerie royale du Canada a dû le prévenir fin octobre, alors qu’il était déjà sous protection policière permanente, d’une menace imminente sur sa vie. L’oeuvre d’agents iraniens s’estimant autorisés à sévir contre ce farouche opposant du régime en Iran et fervent défenseur d’Israël.

Le Canada a beau avoir décelé et dénoncé publiquement en septembre l’implication du gouvernement indien dans l’assassinat (exécuté, celui-là) d’un autre militant, le Canadien sikh Hardeep Singh Nijjar, telle imputation n’a visiblement pas refroidi le régime iranien de tenter pareil attentat.

Les pires craintes des diasporas ayant fui tel autoritarisme ne cessent d’être brutalement confirmées. Et la confiance citoyenne, d’être chaque fois encore davantage minée.

Car les allégations d’ingérence étrangère dans la dernière course à la chefferie du Parti conservateur, d’abord évoquées cet été, ont par ailleurs été étoffées. Selon les sources de Radio-Canada, le gouvernement indien aurait tenté de faire dérailler la campagne du candidat Patrick Brown (avant qu’il soit expulsé de la course par le parti), en sommant ses partisans de cesser de vendre des cartes de membres ou de l’inviter à certains événements impliquant le consulat, de même qu’en faisant pression sur la députée fédérale Michelle Rempel Garner pour qu’elle lui retire son appui.

L’élue nie avoir été victime de coercition et assure avoir abandonné la campagne de M. Brown, qu’elle codirigeait, pour d’autres raisons. Une bien courte explication, dont se satisfait inexplicablement son chef, Pierre Poilievre, pour persister à s’entêter de refuser de s’enquérir non seulement de soupçons visant son propre caucus, mais désormais d’allégations publiques concernant nommément l’une de ses élues.

Mme Rempel Garner n’est pas une illustre inconnue. Elle est l’une de seulement cinq députés de M. Poilievre à avoir été précédemment ministre. L’aveuglement volontaire de l’aspirant premier ministre, qui pourrait devoir composer son propre cabinet dans quelques mois, est irresponsable.

Patrick Brown tente de minimiser l’influence de cette campagne du gouvernement indien. Mme Rempel Garner aurait reçu « un coup de fil colérique » du consul général, a-t-il reconnu, car le régime n’appréciait guère que le candidat et maire de Brampton (où réside la plus importante communauté sikhe au Canada) s’exprime en parlant de ce mouvement séparatiste réprimé par le gouvernement indien comme d’une « nation sikhe ».

Mais M. Brown refuse d’y voir une campagne d’ingérence réussie, arguant qu’une tentative d’influence du discours politique n’est pas pour autant nécessairement fructueuse. Certes, mais de telles nuances ne préservent pas la confiance citoyenne. Qu’un État étranger essaie même de s’immiscer ainsi dans la démocratie canadienne est intolérable.

La désinvolture des partis politiques l’est tout autant.

Prêchant l’autonomie de gérer leurs propres processus internes, tous, sans exception, refusent de resserrer le financement ou la participation à leurs courses à l’investiture (dont bon nombre sont déjà terminées, en vue des prochaines élections), de même que de leurs courses à la direction (alors que libéraux et néodémocrates en tiendront vraisemblablement une suite au prochain scrutin).

Le registre d’agents d’influence étrangers, enfin créé par le gouvernement, ne sera mis sur pied qu’en juin, au plus tôt. Le seuil nécessaire pour porter des accusations d’ingérence en vertu de la Loi électorale, avec des ressources limitées, demeure élevé — en identifier l’auteur précis, prouver l’intention malveillante, retrouver l’origine de fonds étrangers utilisés à mauvais escient. Sans parler de la complexité de contrer la désinformation dans un contexte de liberté d’expression politique et électorale. Un carcan dont sera exemptée l’amplification de l’influence d’Elon Musk sur son réseau social, X.

Les élections fédérales auront besoin de tous les pare-feu. D’autant que leur déclenchement pourrait survenir un peu trop vite pour la mise en oeuvre des recommandations de la commission d’enquête de la juge Marie-Josée Hogue. Il est grand temps que les partis politiques, qui ont passé des mois à taper sur le clou de l’ingérence étrangère, montrent que leur indignation était sincère.

Ce texte fait partie de notre section Opinion. Il s’agit d’un éditorial et, à ce titre, il reflète les valeurs et la position du Devoir telles que définies par son directeur en collégialité avec l’équipe éditoriale.

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