Un grand pas aussitôt freiné

Le plafonnement à venir de la pollution émise par les secteurs pétrolier et gazier aurait pu être plus ambitieux ou son échéancier être urgemment devancé. La crise climatique qui inonde et assèche à la fois la planète a épuisé chez plusieurs toute réserve de patience. L’imposition prochaine d’un tel règlement par le gouvernement de Justin Trudeau aux industries les plus pollueuses du Canada représente néanmoins un important jalon de son arsenal environnemental, que même certains environnementalistes ont salué. Car le progrès est aussi fait de pas parfois imparfaits et de l’espoir, si mince soit-il, qu’ils ne soient pas trop rapidement effacés.

Ainsi, à compter de 2030, les entreprises pétrolières et gazières se verront imposer un plafond d’émissions de gaz à effet de serre (GES) forçant la réduction de leur pollution de 27 % au-dessous de leur niveau mesuré à compter de 2026, ou l’équivalent d’une réduction de 35 % sous celui de leurs émissions de 2019.

Le gouvernement libéral et le ministre de l’Environnement, Steven Guilbeault, avaient fait miroiter l’an dernier une réduction des GES de 35 % à 38 % par rapport à 2019. Le projet de règlement dévoilé cette semaine a donc retenu la fourchette moins élevée.

Comme précisé précédemment, la mesure fédérale ne restreindra par ailleurs que les émissions de GES des plus gros producteurs pétroliers et gaziers (365 000 barils ou plus par année), et non leur production. Cette dernière croîtra malgré tout de 16 % entre 2019 et 2030-2032, une baisse d’à peine un point de pourcentage par rapport au scénario projeté sans plafond d’émissions, selon le ministère de l’Environnement.

Une cible trop timide, diront certains. La cible la plus réaliste, rétorquera le gouvernement, dont les mains sont liées par le respect de la Constitution, qui donne aux provinces la gestion exclusive de leurs ressources naturelles et de leur exploitation. Si le gouvernement fédéral ne s’en était pas tenu à ce qui est réalisable, sans limiter leur production de façon détournée, il n’aurait asséné qu’un coup d’épée dans le pétrole.

La preuve, la première ministre de l’Alberta, Danielle Smith — dont le Parti conservateur uni vient d’adopter une résolution abandonnant toute cible de zéro émission de GES et qualifie le dioxyde de carbone de « nutriment essentiel à la vie » —, a brandi une contestation judiciaire dans les minutes qui ont suivi l’annonce du ministre Guilbeault.

Le sort de ce plafond enfin imposé aux industries les plus polluantes (31 % des émissions de GES du Canada) n’est ainsi qu’incertain, et non pas cause perdue.

Le règlement promis n’arrivera en revanche probablement que fort trop tard. Même si on le promet depuis le scrutin de 2021, c’est une proposition qui vient d’être présentée, laquelle sera ensuite soumise à des consultations, avant d’être finalisée au printemps prochain. Soit précisément la saison la plus probable pour une campagne électorale fédérale.

Bien que M. Guilbeault s’en dise conscient et qu’il ait promis de s’affairer à promulguer le règlement avant le déclenchement d’une campagne électorale, une mise en oeuvre préalable du plafond de pollution aurait contraint l’industrie à déjà s’y adapter. Ce qui aurait compliqué son abrogation par un futur gouvernement conservateur.

Sans forcer la main des secteurs les plus polluants, le Canada n’atteindra pas ses cibles de réduction de GES, qui n’ont baissé que de 8 % par rapport aux niveaux de 2005, donc encore loin de l’objectif fédéral d’une réduction de 40 % à 45 % d’ici à peine un peu plus de cinq ans. Les émissions de l’industrie demeurent en deçà de leurs niveaux de 2019, mais ils sont en légère hausse constante depuis la pandémie.

En faisant porter le sort de la mise en oeuvre tardive de son plafond sur les épaules des partis d’opposition bloquiste et néodémocrate, et sur leur soutien du gouvernement libéral minoritaire, M. Guilbeault fait preuve d’une disgracieuse fourberie. S’il veut se présenter la semaine prochaine à la COP29 en se targuant d’être le ministre du seul pays ayant joint le geste à la promesse faite lors de la conférence climatique onusienne de l’an dernier, soit d’opérer une « transition » vers une sortie de la dépendance aux combustibles fossiles, il lui revient d’achever le travail.

Steven Guilbeault, le militant écologiste, n’a jamais nié ses regrets que l’action climatique demeure circonscrite aux contraintes de la politique. Devenu ministre, il aura cependant compris qu’il lui faut se résigner aux limites qu’elles dictent. Tout en s’armant de l’inébranlable optimisme de voir les progrès malgré tout décrochés résister aux aléas électoraux.

La victoire de Donald Trump à la présidence américaine sonne toutefois le glas de toute ambition en environnement, non seulement aux États-Unis, mais au Canada également, en dédouanant un gouvernement conservateur qui choisirait l’inaction. L’espoir d’avancées, même inachevées, vient de voler en éclats.

Ce texte fait partie de notre section Opinion. Il s’agit d’un éditorial et, à ce titre, il reflète les valeurs et la position du Devoir telles que définies par son directeur en collégialité avec l’équipe éditoriale.

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