Cadeaux et déficits sous le sapin

Le ministre des Finances du Québec, Eric Girard, et son homologue fédérale, Chrystia Freeland, nous ont offert des visions plutôt contrastées des finances publiques cette semaine. Pendant que le premier prend son temps pour juguler le déficit, la seconde ne semble pas vraiment s’en préoccuper.

La mise à jour économique du gouvernement du Québec est un exercice bien plus substantiel que l’annonce d’une mesure temporaire. Ce ne sont pourtant pas les analyses et explications du ministre Girard sur l’état de santé des finances québécoises qui ont retenu l’attention, mais plutôt les annonces opportunistes du gouvernement Trudeau. Juste à temps pour le magasinage des Fêtes, les libéraux ont promis un congé de TPS de deux mois sur de nombreux produits et un remboursement libre d’impôt de 250 $, le printemps prochain, pour tous les Canadiens gagnant moins de 150 000 $ par année.

Le gouvernement Trudeau, qui n’a jamais réussi à équilibrer un seul budget depuis son élection, en 2015, se privera de rentrées fiscales de 1,6 milliard avec le congé de taxes et ajoutera des sorties de fonds de 4,7 milliards pour les cadeaux de 250 $. Il n’y a pas assez de métaphores dans le dictionnaire pour décrire le cynisme de cette mesure qui empeste l’électoralisme. Le chef conservateur Pierre Poilievre y est allé d’une pique à l’endroit du premier ministre Justin Trudeau, qui ne semble pas exagérée, pour une fois. « Il va faire n’importe quoi pour sauver sa job », a dit le chef de l’opposition officielle.

Six milliards de dollars, c’est l’équivalent d’une pincée de sel dans un verre d’eau à l’échelle des finances publiques canadiennes. L’effet de cette mesure sur les pressions inflationnistes sera sans doute bref et circonstanciel. Il sera tout de même intéressant de suivre de près la prochaine réunion de la Banque du Canada, prévue à la fin de janvier. Si jamais l’institution décide de prendre une pause dans le relâchement du taux directeur, ce sera sans doute en réaction de prudence face à la mesure gouvernementale.

L’absence totale d’ancrage fiscal de la part de ce gouvernement était déjà connue. S’ajoute maintenant une insouciance telle qu’elle frôle l’irresponsabilité. La mesure n’a rien de progressiste, même si le Nouveau Parti démocratique semble prêt à l’appuyer. À titre d’exemple, un ménage dont les deux conjoints gagnent chacun 149 000 $ par année aura droit à un chèque de 500 $ au printemps. Ô, consciences de gauche qui éclairez la Chambre des communes de vos lumières, croyez-vous vraiment agir dans la recherche de la justice sociale avec une telle étourderie ?

La suspension de la TPS n’est guère plus inspirante. Elle s’applique à un ensemble de biens hétéroclites. Les vêtements pour enfants, les couches et les sièges pour bébé ? Pourquoi pas, si c’est pour aider les jeunes familles. Mais les sacs de croustilles, les boissons gazeuses, la bière et le vin, les sapins de Noël ?!? Le premier ministre s’est trouvé un nouveau déguisement, et il fait drôlement concurrence à celui du père Noël.

Heureusement, Eric Girard ne mange pas de ce pain-là. Le ministre a fermé la porte à une harmonisation de la TVQ avec la TPS pour le congé de deux mois. Sa mise à jour économique repose sur la promesse du gouvernement de retourner au déficit zéro de manière « responsable et progressive » d’ici 2030.

Dans l’immédiat, Québec anticipe un déficit de 11 milliards de dollars au terme de l’exercice financier 2024-2025. De passage à la Chambre de commerce du Montréal métropolitain, le ministre Girard a réfuté de nouveau toute allusion à un retour à l’austérité. « La vérité, c’est qu’on gère de façon responsable », a-t-il dit. À sa décharge, les dépenses augmentent plus vite que l’inflation, à hauteur de 6,5 %, avec des variations importantes en santé et services sociaux (3 %), en éducation (12,4 %) et en enseignement supérieur (5,5 %). Les revenus progressent de 4,9 %. Nous parlerons d’austérité le jour où les dépenses ne suivront plus le rythme de l’inflation.

De nombreux critiques du gouvernement Legault lui ont remis sur le nez sa décision de baisser les impôts et d’accorder aussi des cadeaux fiscaux dans les dernières années dans le cadre de son bouclier anti-inflation. Cette marge de manoeuvre, diluée au gré des engagements électoraux, aurait été utile pour amoindrir le choc des déficits qui nous attendent dans les cinq prochaines années.

L’économie reprend du mieux, l’écart de richesse avec l’Ontario, une obsession du premier ministre François Legault, rétrécit encore. La dette nette s’élèvera à 39 % du PIB au 31 mars 2025. Puis, elle augmentera, avant de redescendre sous la barre des 38,6 % du PIB en 2029, si les hypothèses se confirment. Ce sont là des signaux encourageants d’un point de vue macroéconomique, bien qu’il n’y ait aucune raison d’ouvrir une bouteille de champagne exempte de TPS.

De toute manière, les Québécois pourraient juger autrement du bilan du gouvernement. La qualité et l’accessibilité des services publics pèseront autant sinon davantage que l’allégement du fardeau fiscal. De ce point de vue, le gouvernement caquiste est loin d’être tiré d’affaire.

Ce texte fait partie de notre section Opinion. Il s’agit d’un éditorial et, à ce titre, il reflète les valeurs et la position du Devoir telles que définies par son directeur en collégialité avec l’équipe éditoriale.

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