L’éducation et la culture, des maillons à renforcer
Le commissaire à la langue française, Benoît Dubreuil, continue d’apporter des éclairages essentiels et pertinents sur les raisons qui expliquent le déclin du français au Québec. En plus, il pointe des pistes de solution à emprunter pour renverser la tendance. Son dernier rapport, dévoilé mercredi, cible de manière judicieuse deux espaces vitaux dans lesquels se forgent la qualité d’une langue et surtout, l’importance qu’on lui accorde : la culture et l’éducation.
Le rapport Le français comme langue commune. Comprendre le recul, inverser les tendances s’est abreuvé aux dernières conclusions formulées par l’Office québécois de la langue française (OQLF) au printemps dernier. Benoît Dubreuil le précise en entrée de document : cette responsabilité grandiose qu’on lui confie lui « apparaît lourde de conséquences », principalement à un moment où il juge que « le français se situe […] à un moment décisif ».
Comment se porte le français au Québec ? Les statistiques destinées à mesurer sa vigueur sont à la baisse, particulièrement dans le champ du travail et de la culture. Un recul particulièrement inquiétant s’observe du côté des plus jeunes générations, qui n’accordent pas la même importance à la survie du français. Les efforts de sélection d’une immigration francophone n’ont pas suffi. L’impact de la loi 101 aux niveaux primaire et secondaire ne permet pas de contrer les forces vives de l’anglais en dehors des murs de l’école. L’exposition grandissante des Québécois, et plus particulièrement des jeunes, à l’omniprésence de l’anglais dans les univers numériques grignote tranquillement mais sûrement des acquis du français. En enseignement supérieur, un étudiant québécois sur cinq choisit l’anglais comme langue d’enseignement, ce qui se répercute de manière évidente et néfaste dans la poursuite de la vie professionnelle, où l’anglais est de plus en plus privilégié.
Dans ce contexte de dégradation, et ce, malgré les tentatives audacieuses du gouvernement de François Legault pour redonner au français ses lettres de noblesse, le commissaire propose de s’attaquer à plusieurs fronts et recommande à Québec d’avoir le courage du changement. De toutes les mesures proposées, il y a en particulier deux maillons essentiels que le commissaire a tout à fait raison de vouloir solidifier : la culture et l’éducation. Dans ces deux champs qui forgent l’identité d’une nation, le défi sera d’atteindre un équilibre particulièrement délicat : imposer des changements draconiens plutôt que des mesurettes de surface, tout en agissant de manière à susciter un attachement à la langue française, pas une réaction de désaffection. Il faut le reconnaître, c’est une gageure difficile.
M. Dubreuil propose d’abord que le ministère de l’Éducation s’impose lui-même un degré plus élevé d’exigences en faisant littéralement de la découverte des contenus culturels québécois et francophones un objectif stratégique, ce qui n’est pas le cas actuellement. Mais sa demande la plus hardie concerne sa volonté de fixer, en enseignement supérieur, une cible de 85 % d’enseignement effectué en français, pour attaquer de manière frontale le déclin qui s’y joue. Puisque le Québec se déchire sur l’imposition de la loi 101 au cégep et favorise toujours le libre choix, le commissaire propose d’autres avenues moins controversées. Cela est sage.
Les données qui décortiquent la probabilité d’utiliser le français au travail en fonction du choix de l’établissement d’enseignement — et de sa langue d’usage — sont affolantes. Une personne ayant étudié en français au secondaire, au collège et à l’université a 88 % de probabilités de travailler en français. Pour une autre ayant choisi l’anglais à l’université seulement, ce pourcentage chute à 59 %. Il n’est plus que de 32 % pour l’étudiant qui a opté pour l’anglais à la fois au cégep et à l’université. Il faut donc des objectifs ambitieux pour renverser une tendance aussi inquiétante.
Certaines mesures sont déjà en place, comme la décision de plafonner le nombre de places dans les collèges anglophones et d’y imposer un nombre de cours en français. D’autres pistes demanderont du courage, comme intégrer une portion de l’enseignement en français dans les universités anglophones. Cela se fait déjà, donc ce n’est pas entièrement fou, et c’est une avenue prometteuse qui vient marquer de manière on ne peut plus claire l’importance du français pour une nation comme le Québec.
Ce rapport atterrit au moment où la francisation, pourtant un des indicateurs de suivi auquel s’attarde l’OQLF pour mesurer la santé du français, est en crise, littéralement, avec des milliers d’élèves laissés pour compte. La Fédération des syndicats de l’enseignement vient de déposer des plaintes et une demande d’enquête auprès de divers organismes — dont le Commissaire à la langue française — pour que cesse le « démantèlement » des services de francisation. Cette situation malheureuse, qui met en péril l’apprentissage du français pour des Québécois très volontaires pourtant, n’est pas digne d’un Québec qui prétend faire de la remise en force du français une de ses priorités.
Ce texte fait partie de notre section Opinion. Il s’agit d’un éditorial et, à ce titre, il reflète les valeurs et la position du Devoir telles que définies par son directeur en collégialité avec l’équipe éditoriale.