La «crise Trump» à la rescousse
François Legault s’était somme toute bien tiré de la crise de la pandémie de COVID-19. Voilà que « la crise Trump », telle qu’il l’a commodément baptisée, vient offrir une bouée au premier ministre québécois, qui, après de longs mois d’écueils politiques et d’impopularité électorale, entame maintenant un peu moins plombé la dernière ligne droite de son deuxième mandat. Tous, au gouvernement Legault, se seraient évidemment passés de la menace tarifaire du président Donald Trump, mais nul n’en sera pour autant entièrement mécontent.
Le sursis espéré, au fil de la journée d’intronisation du président américain, aura finalement été de courte durée. À peine huit heures se sont écoulées entre son discours ne brandissant plus l’usage de la « force économique américaine » contre le Canada et son point de presse improvisé dans le Bureau ovale lors duquel il disait finalement songer à imposer les fameux tarifs douaniers dès le 1er février. M. Trump signait pourtant au même moment une consigne présidentielle ordonnant une évaluation sur plusieurs semaines des relations commerciales des États-Unis, y compris avec le Canada et le Mexique, qu’il a tous deux menacés de tarifs douaniers de 25 %. Rien ne dissipera l’imprévisibilité du président, pas même son assermentation ni la nervosité des marchés boursiers.
Ceux qui espéraient le contraire auront été amèrement et rapidement déçus. Ses récriminations d’une frontière canado-américaine trop poreuse pour les migrants et le fentanyl ont au contraire été réitérées lundi soir, confirmant un retour à la case départ des efforts de pédagogie et de persuasion pour éviter ces tarifs au Québec et au Canada — dont le plan pour la frontière n’a visiblement rien apaisé du tout, pour le président.
Un tel climat de crise sied à François Legault, qui peut rappeler ses années d’expérience économique et revêtir ses habits de bon père de famille prêt à tout pour « protéger les Québécois ». Le premier ministre a répété en l’espace de 48 heures si souvent son analogie entre les crises provoquées par Trump et la COVID-19 qu’il serait difficile de ne pas y voir son credo de la nouvelle année, ce qui lui permet d’espérer à la fois de se réconcilier avec les électeurs désaffectés et d’apaiser son caucus ébranlé par la dernière année.
Et pour cause, c’est au Québec que l’anxiété trumpiste est la plus vive. Tant pour ses menaces fantaisistes de faire du Canada un 51e État (66 % des Québécois s’en disent très inquiétés, contre 40 % à 56 % tout au plus dans les provinces canadiennes, selon Angus Reid) que pour les risques de récession que pourrait provoquer l’imposition de tarifs douaniers (82 % des Québécois craignent qu’une telle éventualité soit très probable, contre 78 % à l’échelle canadienne, selon Léger).
De quoi éclipser les restrictions budgétaires en éducation et en santé, faire oublier les départs simultanés de huit chefs de cabinet ministériels, ou digérer la défaite anticipée à l’élection partielle à venir dans Terrebonne.
En misant sur l’amélioration des services publics grâce à ses grandes réformes en éducation et en santé pour redorer son bilan mitigé, le gouvernement Legault constate peut-être aujourd’hui avoir péché par excès d’optimisme naïf. Cette occasion de recentrer le débat autour de l’économie et de mobiliser les Québécois pour tenir tête, tous unis, au géant américain tombe à point.
L’occasion politique n’est cependant pas sans risque pour M. Legault, qui ne voudrait pas se voir taxé d’opportunisme. L’aide promise aux entreprises victimes de cette guerre tarifaire, si elle s’avère aussi généralisée que ce qui a été menacé, pourrait en outre engendrer une facture salée, et ce, même si le fédéral apporte sa contribution.
Le ministre des Finances, Eric Girard, maintenait encore il y a deux semaines que le retour à l’équilibre budgétaire était « non négociable » pour 2029-2030. M. Girard et le premier ministre s’abstiennent soudainement aujourd’hui de s’y aventurer dans de telles conjonctures incertaines.
Pour les caquistes, tabler sur le dossier de l’économie, en marge de la priorité accordée à la laïcité, risque fort de se complexifier si le gouvernement enchaîne des déficits records successifs. Et pour les Québécois, la rigueur budgétaire imposée à l’appareil et aux services publics devient en outre plus difficile à tolérer si le gouvernement décaisse de l’autre main pour épauler les entreprises mises à mal par l’impérialisme économique de Donald Trump.
En attendant que se concrétise cette menace tarifaire, le spectre de déplacements massifs d’immigrants sans-papiers fuyant au Nord leur expulsion annoncée par le président américain pèse tout autant.
« On va passer au travers », répétait comme autre leitmotiv le premier ministre Legault mardi. Devant son caucus de députés, réunis à Saint-Sauveur, c’est aussi lui-même qu’il semblait tenter ainsi de rassurer.
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