Le consensus du retranchement

Les aspirants chefs du Parti libéral du Québec (PLQ) ont fait leur choix en matière de protection de la langue française. Tout en espérant succéder à Dominique Anglade en promettant aux militants libéraux de meilleurs cieux électoraux, les candidats à la chefferie du parti ont fait le pari de s’enfoncer dans le même statu quo.

La réforme de la Charte de la langue française (ou loi 96) serait ainsi, sous leur gouverne respective, affaiblie ou carrément « scrappée », pour reprendre l’éloquence de Denis Coderre. Tour à tour, réunis au congrès du PLQ, l’ancien maire de Montréal et ses adversaires ont adhéré aux volte-face de Mme Anglade, dont l’opération charme à l’endroit de l’électorat francophone dans ce dossier n’avait été que de courte durée. La défense du traditionnel et bien plus fidèle électorat anglophone l’avait emporté.

Cette sempiternelle quadrature du cercle leur semblant encore aujourd’hui insoluble, les potentiels successeurs ne se soucieront pas de tenter ne serait-ce que de la pallier.

Vivotant au plus bas dans les sondages, pendant que le Parti québécois caracole en tête et que la Coalition avenir Québec poursuit sa descente, le PLQ pourrait pourtant miser sur un profitable potentiel de croissance. L’appui à la souveraineté stagne, alors que le meneur péquiste souhaite ramener la prochaine campagne électorale sur l’axe fédéraliste-indépendantiste.

Le plus récent sondage Léger-TVA accorde 17 % d’appuis au parti et à peine 5 % chez les francophones québécois. Des chiffres quasi identiques à ceux du dernier sondage mené avant l’élection de 2022 (17 % au national, 6 % chez les francophones), à l’issue de laquelle les libéraux ont encaissé leur pire défaite populaire (14,4 % des votes).

Nonobstant, les candidats à la chefferie préfèrent enliser le PLQ dans la cohérence de son abdication du vote francophone.

Au premier rang des abrogations promises à la loi 96, le gel des inscriptions dans les cégeps anglophones. L’ex-ministre fédéral Pablo Rodriguez a défendu le libre-choix de jeunes adultes d’aller étudier où ils le veulent. Le député Frédéric Beauchemin a ressuscité l’impératif de maîtriser l’anglais pour avoir une carrière internationale.

L’élu et ses rivaux auraient intérêt à relire (ou lire) les rapports du commissaire à la langue française, qui réitérait encore il y a deux semaines que les étudiants terminant leurs études postsecondaires en français avaient trois fois plus de chances (88 %) de travailler ensuite dans la langue de Vigneault que ceux qui migrent vers un cégep ou une université anglophone (32 %).

Charles Milliard, lui, déplore la « bureaucratie » qui oblige les employeurs à justifier les exigences de bilinguisme d’un poste à pourvoir.

Dominique Anglade s’était opposée à ces mêmes mesures, après les avoir proposées puis avoir reculé face au tollé suscité chez les communautés anglophones, avec la dégelée électorale que l’on sait. L’adoption, en congrès, d’une résolution de Montréal-Ouest pour garantir l’accès aux soins de santé en anglais — pourtant assuré par la loi 96 ainsi que la Loi sur la santé et les services sociaux — est venue rappeler leur influente mainmise sur le PLQ.

Les courses à la chefferie sont l’occasion de nécessaires brassages d’idées, afin de renouveler l’offre politique d’un parti. Mais les aspirants chefs libéraux misent plutôt cette fois-ci sur un consensus de la constance dans leurs reculs et de l’enclavement électoral.

Les militants ont en revanche adhéré à la bouée de sauvetage nationaliste d’une proposition de Constitution québécoise, sur laquelle continuera de plancher le parti. Le projet, qui enchâsserait la Charte des droits et libertés de même qu’une Charte de la langue française édulcorée, ne fait toutefois pas l’unanimité. Et il pourrait s’avérer bien loin des priorités des Québécois, le moment de l’élection venu, dans deux ans.

Les libéraux ont encore le temps d’étoffer leur offre linguistique et nationaliste. Mais les électeurs québécois n’oublieront pas instantanément, une fois cette course terminée, la cour qu’auront faite les aspirants chefs à leurs militants.

La cohésion libérale n’est par ailleurs pas la même en ce qui a trait au projet de troisième lien autoroutier devant relier Québec et Lévis. Le caucus libéral a beau s’y opposer, Frédéric Beauchemin et Denis Coderre (qui, fortuitement, compte briguer les suffrages dans Bellechasse) appuient la construction d’un tel nouveau lien, que la CDPQ Infra jugeait injustifié du point de vue de la mobilité. Pablo Rodriguez lui préférerait quant à lui un tramway souterrain.

Le PLQ a beau être tout aussi impopulaire à Québec qu’en région (au cinquième rang, selon Léger), le clientélisme localisé l’emporte dans la course aux votes. Surtout lorsqu’un congrès politique se tient à Lévis, dans le bastion des partisans du troisième lien, où l’appui s’élève à 87 % sur la Rive-Sud.

Un pari électoral pour le moins étonnant, mais le Parti libéral du Québec nous y a maintenant habitués.

Ce texte fait partie de notre section Opinion. Il s’agit d’un éditorial et, à ce titre, il reflète les valeurs et la position du Devoir telles que définies par son directeur en collégialité avec l’équipe éditoriale.

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