Chefferie libérale: le Québec au second plan
Pour une deuxième fois dans son histoire récente, le Parti libéral du Canada tiendra une course à la chefferie sans candidat d’envergure québécois. Si le passé libéral et l’apparence d’indifférence précédente des meneurs à l’endroit du Québec sont garants de l’avenir, le duel qui se profile entre l’ex-ministre Chrystia Freeland et l’ancien gouverneur de la Banque du Canada Mark Carney ne réglera pas les déboires électoraux des libéraux. Loin de là.
Les aspirants-chefs du PLC auront fort à faire pour sauver les meubles. Trois candidats mieux connus sont sur les rangs : Chrystia Freeland, Mark Carney et la leader du gouvernement aux Communes, Karina Gould. Jeune, rassembleuse, élue dans la banlieue de Toronto, dont les libéraux ne peuvent se passer au prochain scrutin, et la plus bilingue des trois, Mme Gould aurait pu s’illustrer comme candidate du consensus, face à deux opposants plus polarisants. La guerre tarifaire annoncée par le président désigné Donald Trump et l’expérience économique de ses deux rivaux risquent cependant de lui compliquer la tâche.
L’offre libérale sera dans tous les cas canadienne-anglaise, les ministres québécois Mélanie Joly, François-Philippe Champagne et Steven MacKinnon ayant passé leur tour. L’ex-député Frank Baylis risque de faire figure de simple figurant dans cette course.
Mme Freeland et M. Carney ont beau se targuer d’être bilingues, s’imaginer que réciter quelques phrases creuses en français sera suffisant comme offre politique au Québec serait une grave erreur. Tous deux auront l’occasion de détailler leurs idées au cours des sept prochaines semaines. Leur cheminement, jusqu’ici, laisse toutefois perplexe.
Ni l’un ni l’autre n’a laissé transparaître au fil des ans de très grande sensibilité québécoise. M. Carney semble n’avoir jamais accordé d’entrevue à un grand média québécois, depuis qu’il a quitté la Banque du Canada en 2013 ou qu’il convoite une carrière politique. Tout au plus a-t-il laborieusement prononcé en français 5 des 20 minutes de son discours de lancement de campagne, jeudi. Mme Freeland, qui promet aujourd’hui de mettre la nation québécoise au coeur de sa campagne, se contentait, à ses débuts politiques et avant ses présentes ambitions, de traduire ses réponses et d’ignorer les questions précises des journalistes francophones de la colline du Parlement. Qu’ils semblent tous deux avoir attendu que leur lancement respectif soit imminent pour s’entourer de conseillers seniors ayant des attaches au Québec en dit long.
Depuis 1968, aucune des courses à la chefferie du PLC ne s’est déroulée sans candidat québécois, hormis celle ayant couronné en 2008 Michael Ignatieff. Son bref règne a été ponctué par le départ fracassant de Denis Coderre comme lieutenant québécois, qui accusait le parti d’être dirigé par la « garde rapprochée de Toronto », puis parachevé par la plus grande défaite électorale du PLC, y compris au Québec. L’unique autre chef non québécois en 57 ans d’histoire libérale, John Turner, avait obtenu pour sa part en 1984, plombé notamment par l’usure du pouvoir, le second des pires scores électoraux du parti.
Malgré les coups de sonde dévastateurs pour le PLC aujourd’hui, c’est au Québec que les libéraux peuvent encore espérer conserver le plus de sièges — 17 sur les 37 projetés pour l’instant par l’agrégateur de sondages Canada338. Ce qui, avec 45 % des victoires possibles en territoire québécois, s’inscrirait dans la médiane des résultats électoraux du parti au Québec même si, à l’échelle canadienne, il enregistrerait l’une de ses plus cuisantes défaites historiques.
Les racines québécoises d’un chef de parti et de gouvernement ne garantissent évidemment en rien un respect du Québec et de ses champs de compétence, comme en témoigne l’ingérence à répétition de Justin Trudeau. Un minimum de compréhension des aspirations du Québec échappe cependant d’autant plus aux Canadiens anglais qui ne s’intéressent à la réalité québécoise qu’au moment opportun.
Au-delà des lettres ouvertes ou des visites éclair de campagne à la chefferie, M. Carney et Mme Freeland proposeront-ils un renouveau dans les relations fédérales avec le Québec ? Le respect de la souveraineté parlementaire et des lois québécoises en matière de laïcité et de langue française ? Défendront-ils les secteurs de l’aluminium, de la foresterie et de l’aéronautique, la gestion de l’offre et la souveraineté culturelle en martelant qu’ils seraient le meilleur adversaire et protecteur de l’économie canadienne face à Donald Trump ?
Les Québécois ne sont pas dupes. Il ne suffira pas aux aspirants-chefs de faire soudainement la cour au Québec. Ou de croire y faire bonne figure en parlant simplement français, pendant qu’un autre candidat, le député Chandra Arya, tente de justifier qu’il ne se soucie guère de la langue de Molière.
Le mépris de ce dernier aura au contraire rappelé aux Québécois leurs réticences à se voir représentés par un parti qui ne les comprend pas. M. Carney et Mme Freeland auront fort à faire pour les convaincre du contraire.
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