Le cabinet du chaos

Le New York Times avait prévenu les Américains. En recensant les plus alarmantes promesses de Donald Trump, en fin de campagne électorale présidentielle, l’équipe éditoriale du journal avait lancé ce solennel avertissement : « croyez-le ». Les craintes n’ont pas tardé à se confirmer, dès les premières nominations du cabinet du président (re)désigné. Donald Trump compte reprendre les rênes de l’administration américaine là où il les avait laissées, pour démanteler l’État américain de l’intérieur, avec l’aide d’une équipe rivalisant d’inexpérience et d’incompétence dont les ravages auront de redoutables conséquences.

L’unique aptitude recherchée est celle de l’inébranlable loyauté. Donald Trump a tiré des leçons de son premier mandat, évacuant pour le second toute résistance au sein de son entourage qui pourrait faire l’erreur fatale de vouloir le ramener sur le droit chemin.

Cette fois-ci, l’équipe ne sera qu’une servile escouade de flagorneurs, prêts à suivre à la lettre les dérives antidémocratiques du maître suprême du mouvement MAGA ou du moins à rentrer dans le rang. Comme son futur secrétaire d’État, Marco Rubio, le sénateur de la Floride qui l’avait traité d’« escroc » lors des primaires de 2016, qui a coparrainé une loi empêchant un futur président de se retirer unilatéralement de l’OTAN, mais qui s’aligne aujourd’hui sur la volonté de Trump de cesser de financer l’aide à l’Ukraine. La modération n’avait plus meilleur goût au Parti républicain.

Le fanatisme, en revanche, est garant de promotions, surtout s’il adhère à l’anti-establishment et promet de saper une à une les institutions.

Le département de la Santé semble le plus menacé, avec la nomination de Robert F. Kennedy Jr à sa direction. Un vaccinosceptique, convaincu que la 5G « contrôle notre comportement », que les produits chimiques présents dans l’eau pourraient altérer la sexualité ou l’identité de genre des enfants, qui laisse entendre que le VIH n’est pas à l’origine du sida ou que les antidépresseurs sont liés aux fusillades dans les écoles. Que Trump ait choisi de récompenser son ancien rival au risque de vies d’Américains est consternant.

L’arrogance de nommer Matt Gaetz au département de la Justice est outrancière. Un élu accusé de trafic sexuel impliquant une mineure et de consommation de drogues illicites, qui dirigera désormais ce même ministère ayant mené l’enquête (abandonnée sans inculpation).

La conseillère à la sécurité nationale, Tulsi Gabbard, n’est nulle autre qu’une transfuge démocrate anti-interventionniste, supportrice de la Russie et du président syrien, Bachar al-Assad, que Hillary Clinton avait qualifiée d’« agente russe ». C’est toute la collecte et le partage de renseignements secrets des États-Unis et de leurs alliés qui sont ébranlés, en pleine instabilité planétaire.

Pendant qu’à la Défense, Pete Hegseth, un animateur de Fox News sans plus d’expérience, écarté du service de sécurité de l’inauguration de Joe Biden de peur qu’il soit extrémiste, prendra les commandes. Exit l’hégémonie des États-Unis, en faveur d’un chaos annoncé.

Même les sénateurs républicains sont outrés. Qu’à cela ne tienne, Donald Trump pourrait saper la démocratie américaine dès ses premiers jours en poste en se dérobant à la confirmation de ses candidats par le Sénat.

Le gouvernement Trump 2.0 sera résolument radical. Et pro-Israël, le futur ambassadeur Mike Huckabee niant l’existence même de colonies israéliennes.

Elle sera en outre ploutocratique, le duo de milliardaires libertariens Elon Musk et Vivek Ramaswamy ayant pour projet de sabrer la fonction publique et pourquoi pas le FBI et le département de l’Éducation, au nom de l’« efficacité gouvernementale ». Un mandat englué dans les apparences de conflits d’intérêts des milliards de dollars de contrats fédéraux de SpaceX. Qu’importe, le simplisme populiste l’emporte.

La profonde colère économique et la rancoeur nourrie par la guerre à Gaza et au Liban ont aveuglé l’électorat américain au point qu’il ne se soucie plus du cataclysme présagé. Le vote fatidique maintenant passé, leurs concitoyens désespèrent pendant que la planète entière retient son souffle.

Le Canada n’est pas épargné. Aux tarifs douaniers, renégociations de libre-échange et complaintes d’insuffisantes dépenses militaires s’ajoute maintenant, chez les recrues de Trump, le bon vieux grief ressuscité d’une frontière servant de « porte d’entrée de terroristes » menaçant la sécurité nationale américaine. L’hostilité à l’endroit du gouvernement de Justin Trudeau n’est même pas voilée, la nouvelle équipe républicaine ayant dénoncé publiquement des « politiques autoritaires » ou célébré l’élection possible à venir du chef conservateur Pierre Poilievre, qui « sortira le Canada du pétrin progressiste ».

Un gouvernement conservateur ne barricaderait pas davantage la frontière, n’abandonnerait pas plus la gestion de l’offre au libre-échange et ne doublerait probablement pas plus rapidement les budgets de la Défense. Qu’il attende ou non l’issue de la prochaine élection canadienne, le séisme Trump risque de frapper fort.

Ce texte fait partie de notre section Opinion. Il s’agit d’un éditorial et, à ce titre, il reflète les valeurs et la position du Devoir telles que définies par son directeur en collégialité avec l’équipe éditoriale.

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