Une alarme pour le monde
Une des leçons qu’on retient de cette fournaise chauffée à blanc par les changements climatiques qui poursuit sa triste course à Los Angeles, c’est qu’elle n’aura épargné personne. Une même désolation s’est abattue sur les privilégiés des grandes villas de Pacific Palisades accrochées entre ciel et océan et les plus modestes locataires d’Altadena, un quartier qui comprend d’importantes populations noire et latino.
Les autorités ont déjà déploré plus de vingt morts, mais le bilan est appelé à s’alourdir, près de 16 000 hectares ayant jusqu’ici été engloutis par les flammes. Égales devant la fureur des éléments qui a réduit leur milieu de vie en cendres, ces populations bigarrées verront les profondes inégalités qui les séparaient déjà se creuser davantage après ces feux.
Dans la débandade, les plus riches n’ont pas hésité à engager des pompiers au privé. Cette offre a explosé aux États-Unis jusqu’à former 45 % des effectifs du pays. Leurs manières de matamores à la solde d’une poignée de privilégiés ont provoqué plusieurs flammèches avec les autorités. Ces travailleurs privés détournent des ressources, accaparent des infrastructures et nuisent à la coordination des secours.
Les plus aisés pensent déjà à reconstruire, mais les autres font face à des obstacles qui pourraient s’avérer insurmontables pour nombre d’entre eux. Quel promoteur ira reconstruire des logements modestes dans des quartiers qu’on sait assis sur une bombe à retardement ? Quel petit propriétaire réussira à convaincre son assureur (et son prêteur) de reconstruire à l’identique sa modeste maison là où l’on risque de ne vouloir à l’avenir que des maisons ultra-blindées contre les feux, un luxe dont il n’a évidemment pas les moyens ?
Le gouverneur Gavin Newsom a eu beau annoncer des allégements réglementaires pour simplifier et accélérer la reconstruction, son État danse sur un volcan. Si les feux qui font toujours rage sont si dévastateurs, c’est qu’ils sont le fruit d’une recette météorologique parfaite, qui mijotait depuis plusieurs mois. Et que le dérèglement climatique n’y est pas pour rien, explique le reporter spécialisé en environnement Alexis Riopel, dans Le Devoir.
Hasard du calendrier, le département d’État américain a publié vendredi une nouvelle stratégie nationale face au changement climatique, précisant que les catastrophes liées à ce phénomène avaient causé 182,7 milliards de dollars américains de pertes économiques en 2024. C’est deux fois plus qu’en 2023.
Los Angeles a déjà lourdement plombé l’ardoise de 2025. Les plus récentes estimations sont à plus de 50 milliards, et les feux continuent leur travail de sape. La Californie était déjà aux premières loges de la crise de l’assurance. Délaissé par un nombre grandissant d’assureurs, l’État avait d’ailleurs récemment connu un taux de non-renouvellement des contrats record. Résultat : le système public d’assurance de dernier recours, le FAIR, est passé de 50 milliards en 2018 à plus de 450 milliards de dollars. C’est proprement insoutenable.
Tous ces éléments ont du mal à être entendus dans le flot d’informations sensationnalistes, voire fautives, qui circulent. Non seulement la désinformation aura ajouté à la confusion générale, mais elle aura aussi nui à la sécurité des habitants de Los Angeles et au travail des autorités, qui se seraient passées de ces attaques, pour la plupart non fondées, dont la plus délirante est venue du président désigné lui-même.
Non, le gouverneur Gavin Newsom n’a pas sciemment privé d’eau la Californie, comme l’a affirmé Donald Trump. Pas plus que ses politiques environnementales n’ont rendu moins efficaces les interventions sur le terrain, expliquait cette fin de semaine le réputé magazine Scientific American. Et non, Los Angeles n’a pas été la cible de bombes à énergie, comme on l’avait faussement dit de Lahaina, à Hawaï, en 2023.
Les deux villes ravagées par les flammes partagent toutefois de tristes parentés. Des sécheresses qui s’étirent et s’intensifient, balayées par des vents furieux qui gagnent en puissance. Des autorités dépassées qui peinent à s’adapter et tardent à prendre le taureau climatique par les cornes. Parce que ce serait cher, parce que ce serait impopulaire, parce que ce serait contraignant.
Il est là, le scandale. On devrait parler d’enfouissement des fils électriques, d’adaptation, de ce qui rend nos villes résilientes, de cette croissance effrénée qui les fragilise, de bilans carbone. Surtout, il faudrait se demander ce qu’il nous en coûte de ne rien faire, ou si peu.
Ce qui surnage, c’est plutôt du bruit destiné à cacher l’éléphant dans la pièce — le réchauffement climatique — et à discréditer les autorités en place. Celles-ci auront bien sûr à rendre des comptes : leurs choix devront être décortiqués pour que ceux qui ont servi de carburant à cet épisode cauchemardesque soient corrigés.
Observons, prenons des notes et préparons-nous en conséquence. Car la cité des anges offre un instantané lointain, mais tangible, de la manière profondément sauvage et inéquitable dont les changements climatiques vont frapper partout sur la planète, y compris dans notre propre cour.
Ce texte fait partie de notre section Opinion. Il s’agit d’un éditorial et, à ce titre, il reflète les valeurs et la position du Devoir telles que définies par son directeur en collégialité avec l’équipe éditoriale.