L’affaire est dans le bac
Savez-vous quoi mettre et ne pas mettre dans votre bac de recyclage ? Avec l’entrée en vigueur, le 1er janvier dernier, de la refonte du système de collecte sélective, plusieurs esprits encore confus devraient être rassurés : hormis quelques matières encore baroques, presque tout peut s’écraser dans le fond du bac. Cette avancée notoire, qui permettra notamment d’homogénéiser les pratiques, s’attaque au recyclage, mais il y a encore fort à faire à la source, au moment de la production et de la mise en marché des produits.
La réforme de la collecte sélective a pris vie le 1er janvier dernier, mais elle est dans l’air depuis le début de l’année 2020, lorsque le ministre de l’Environnement et de la Lutte contre les changements climatiques, Benoit Charette, a annoncé une vaste entreprise de modernisation de la collecte sélective, fondée d’abord sur un principe de responsabilisation des producteurs. Les entreprises sont désormais responsables de leurs contenants, emballages et imprimés pendant toute la durée de leur cycle de vie. C’est Éco Entreprises Québec (EEQ) qui assure la gestion et le financement de la collecte sélective, plutôt que les municipalités. Cela entraînera une salutaire homogénéisation des pratiques, en lieu et place de l’hétéroclite tableau du recyclage québécois qui entraînait la confusion.
En consacrant un nouveau cycle de récupération élargie — plusieurs matières jadis bannies, comme le pot de yogourt, le sac de croustilles ou la traditionnelle barquette de polystyrène, pourront désormais régner dans le bac —, on espère augmenter le volume de certaines matières qui n’étaient pas recyclées et donc indisponibles pour un marché de revente. La formule de tri simplifiée aura peut-être aussi par la bande un effet bénéfique sur la confiance des Québécois à l’endroit du processus même de recyclage ; les difficultés répétées de certains centres de tri des matières ont en effet nourri un certain scepticisme dans une partie de la population, dubitative face au chemin réellement parcouru par les objets consciencieusement triés pour fins de recyclage. Est-ce que je fais ça pour rien ? se sont demandé plusieurs citoyens adeptes du bac.
Un sondage Léger mené en début d’année 2024 pour le compte d’EEQ a confirmé des taux très élevés de participation quotidienne (80 %) des Québécois à la collecte sélective. Toutefois, un nombre important de répondants (89 %) se sont dits avides de renseignements additionnels pour mieux comprendre les bons gestes de tri à effectuer, tandis qu’un questionnaire portant sur les matières acceptées ou non dans le bac permettait de conclure à une grande confusion chez les citoyens : 25 % des réponses étaient mauvaises. Par exemple, près de la moitié des répondants croyaient qu’un jouet en plastique pouvait atterrir dans le bac sans problème.
D’un point de vue environnemental, on fait le pari qu’une meilleure qualité du tri à la source ne pourra que réduire encore et encore le taux de matières destinées à l’enfouissement. Le gouvernement du Québec mise sur l’écoconception (introduire des critères environnementaux dans la conception des emballages) et sur l’économie circulaire (donner une nouvelle vie aux ressources ou prolonger leur durée de vie) pour atteindre ses objectifs. Il va sans dire que les entreprises sont les premières responsables, dès la fabrication du produit et de son emballage, de penser l’utilisation des matières dans une perspective environnementale. Déjà, des entreprises ont effectué des changements notables, par exemple dans le secteur alimentaire, mais pas toujours perçus par les consommateurs. Un système d’étiquetage et de signalétique officiel profiterait aux consommateurs consciencieux et, par ricochet, aux entreprises responsables.
Dans cet élan de responsabilisation environnementale collective, le plastique à usage unique demeure un fléau dont les effets menacent la planète. Dans la foulée d’une conférence mondiale récente destinée à endiguer ce problème menaçant, on apprenait que la production annuelle de cette matière destinée surtout au dépotoir s’établit à 460 millions de tonnes par année — elle n’était que de 2 millions de tonnes en 1950 — et la tendance est à l’augmentation. L’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) estime que cette production pourrait tripler d’ici 2050 et que moins de 10 % de ces plastiques primaires souvent dérivés de combustibles fossiles seraient recyclés chaque année. Or, la composition des plastiques, avec polymères et additifs chimiques, peut entraîner des fuites de microplastiques et se frayer un chemin jusque dans le corps humain, ainsi que cela a été démontré de manière scientifique.
Si le Québec veut améliorer ses taux de récupération pour qu’ils dépassent les 70 %, entreprises et individus devront améliorer leur performance. Cela devrait être facilité par ce nouveau système uniformisant les pratiques et obligeant les producteurs à atteindre des objectifs de récupération et de recyclage. On pourra peut-être bientôt dire que l’affaire est dans le bac.
Ce texte fait partie de notre section Opinion. Il s’agit d’un éditorial et, à ce titre, il reflète les valeurs et la position du Devoir telles que définies par son directeur en collégialité avec l’équipe éditoriale.