L’école à la maison demeure populaire, au-delà de la pandémie

Le nombre d’enfants québécois qui sont scolarisés à la maison a augmenté à un rythme beaucoup plus rapide que celui de la population étudiante en général au cours des dernières années. Les doléances de parents qui enseignent à leurs enfants à domicile sont aussi nombreuses à l’endroit du réseau scolaire, qui peine à répondre à leurs demandes en contexte de pénurie de main-d’œuvre. État des lieux.
Après avoir atteint un sommet en 2020-2021, pendant la pandémie, le nombre d’élèves suivis en enseignement à la maison est en diminution depuis. Il s’établissait à 8104 en date du 27 décembre dernier, selon des données fournies par le ministère de l’Éducation à la suite d’une demande d’accès à l’information.
Ce nombre demeure néanmoins 63,12 % plus élevé que celui de 4968 observé lors de l’année scolaire 2018-2019. Pendant cette même période, le nombre total d’élèves au primaire et au secondaire, qui dépasse le million, a augmenté de 9,64 %, montrent des données tirées du tableau de bord du ministère de l’Éducation.
« La croissance qui n’est pas liée à la pandémie, elle est assez stable », confirme en entrevue Christine Brabant, professeure à l’Université de Montréal et chercheuse spécialisée en éducation à domicile. Selon elle, le nombre d’enfants scolarisés à la maison serait sans doute le même actuellement, même si la crise sanitaire n’avait pas eu lieu.

Cet attrait grandissant pour l’école à la maison est notamment associé à l’incapacité du réseau scolaire, aux yeux de plusieurs parents, de répondre aux besoins de leurs enfants. L’Association québécoise pour l’éducation à domicile constate d’ailleurs qu’environ la moitié des enfants dont les parents comptent parmi ses membres présentent des défis d’apprentissage ou encore un problème de santé psychologique ou physique.
Or, en contexte de pénurie de personnel professionnel, il peut devenir difficile pour certaines écoles de répondre aux besoins d’élèves nécessitant le déploiement de plus de ressources. Cela peut alimenter la décision de parents d’opter pour l’école à la maison, relève Mme Brabant.
Amélie Laguë, mère de trois enfants tous scolarisés à la maison, a d’ailleurs opté à l’origine pour ce modèle après avoir constaté que « l’école régulière, ça ne fonctionnerait pas » pour sa fille autiste. Son frère, atteint de dyspraxie, et son autre enfant ont suivi.
« Si jamais ils nous demandent d’aller à l’école, on va les laisser y aller. On leur laisse le choix », poursuit Mme Laguë, qui privilégie un modèle d’enseignement qui s’approche de l’apprentissage libre. Ses enfants apprennent par exemple à compter en gérant leur argent de poche et l’anglais en jouant à des jeux vidéo « qui ne sont pas disponibles en français », explique-t-elle.
« La majorité de ce qu’on apprend, c’est de façon naturelle et on va utiliser les cahiers pour certaines matières », ajoute la mère de famille estrienne.
Des demandes sans réponse
Christine Brabant souligne que les études réalisées à l’échelle internationale font état, en général, d’un niveau de socialisation et de réussite scolaire similaire pour les enfants qui suivent l’école à la maison et ceux qui se rendent en classe. « Il y a peu d’études qui ont réussi à trouver des inconvénients et des résultats négatifs » rattachés à l’école à la maison, souligne-t-elle.

Il est toutefois difficile d’avoir un état des lieux clair en la matière au Québec en raison du manque de données publiques disponibles, évoque la professeure.
L’Association québécoise pour l’éducation à domicile (AQED) constatait cependant, au terme d’un sondage mené l’an dernier auprès de 200 familles, que 68 % des demandes effectuées par des parents membres de son association pour avoir accès à des services auxquels ils ont droit en vertu du Règlement sur l’enseignement à la maison auraient été refusées par leur centre de services scolaire. Ces requêtes portaient notamment sur l’accès à des locaux, à du matériel pédagogique et à des services professionnels — de la part d’orthopédagogues ou de psychoéducateurs, par exemple.
Cette situation ne surprend pas le président de la Fédération des professionnelles et professionnels de l’éducation du Québec, Jacques Landry. « Déjà, ce qu’on voit, c’est que même quand les enfants sont à l’école, on n’arrive pas à leur offrir le service adapté, alors imaginez quelqu’un qui est à la maison, la marche est encore plus haute », lance-t-il.

Anaïs Lauzon-Laurin, qui s’occupe des relations publiques pour l’AQED et enseigne à la maison à ses enfants à Saint-Charles-Borromée, dans Lanaudière, constate pour sa part que « la préparation » offerte aux parents et aux élèves scolarisés à la maison « n’est pas équitable » d’un CSS à l’autre. « Il faudrait qu’on ait accès à des activités de préparation », plaide-t-elle. Or, actuellement, « je sais qu’il y a des enfants qui ont besoin d’adaptations pour faire des épreuves parce qu’ils ont des enjeux d’apprentissage et, dépendant du CSS, parfois, ce n’est pas accepté », déplore la mère de famille.
Une réussite à géométrie variable
C’est dans ce contexte qu’au sein du CSS de Laval, pendant l’année scolaire 2023-2024, la note moyenne à l’examen ministériel de lecture en français, administré en quatrième année du primaire, a été de 14,76 % inférieure chez les élèves scolarisés à la maison.
Pendant cette même période, ceux-ci avaient aussi obtenu une note moyenne de 17,39 % inférieure à celle obtenue par leurs collègues fréquentant les bancs d’école pour l’examen de mathématiques en sixième année du primaire. La différence était de 13,28 % en 2022-2023.
« En raison du grand écart entre le nombre d’élèves qui fréquentent nos établissements et ceux qui font l’école à la maison, la comparaison devient difficile », nuance toutefois par courriel le centre de services scolaire, qui appelle à la « prudence » dans l’interprétation de ces données.

Le CSS de Laval indique d’ailleurs avoir répondu positivement à deux des trois demandes pour services professionnels qu’il a reçues depuis la rentrée scolaire de la part de parents d’élèves scolarisés à la maison. « On va accompagner les parents qui en font la demande dans leurs apprentissages », assure Julie Lavigne, directrice générale adjointe du CSS. « On répond présent. »
Le CSS de Montréal, le plus grand de la province, n’a pas été en mesure de fournir au Devoir des données sur la performance des élèves scolarisés à la maison.
La réponse du CSS Marguerite-Bourgeoys, quant à elle, montre que ceux-ci ont obtenu des résultats moyens sous la note de passage pour l’ensemble des épreuves dans les matières à sanction en 4e et 5e secondaire. La moyenne était aussi une note d’échec pour les examens de français en quatrième année du primaire.
Au CSS de la Pointe-de-l’Île, les élèves scolarisés à la maison ont à l’inverse performé davantage que les autres dans une majorité d’examens, en 2022-2023 comme en 2023-2024. Le bilan est plus partagé dans les commissions scolaires anglophones de Montréal, où les élèves scolarisés à la maison semblent réussir davantage dans certaines matières, comme le français, tout en ayant une moyenne moindre dans d’autres, par rapport à ceux qui se rendent sur les bancs d’école.