Autopsie de la crise de la COVID

En dévorant en deux jours le livre Le printemps le plus long, qui relate les coulisses des premiers mois où la pandémie de COVID-19 a frappé le Québec, l’acteur Éric Bruneau a été fasciné.
« Je me suis dit que ça pourrait faire un film. Si la SODEC et Téléfilm Canada nous donnaient 40 millions, on ferait un super thriller avec ça. J’ai découvert des histoires et des personnages qu’on ne connaissait pas », dit-il à propos de l’essai-enquête du journaliste Alec Castonguay, publié en 2021.
C’est finalement un documentaire télévisé en trois épisodes et un balado en six épisodes qui se seront concrétisés. L’artiste a revêtu la casquette d’animateur, de scénariste, de concepteur et de producteur associé pour la minisérie télé, à laquelle a collaboré Alec Castonguay.
Ces documentaires arrivent sur nos écrans et dans nos écouteurs tout juste à temps pour le cinquième anniversaire des événements que tout le monde préférerait oublier. Les journalistes ont pu visionner les épisodes de la série télé lundi lors d’une projection de presse.
« On est conscients que la pandémie est un sujet sensible pour beaucoup de gens, admet M. Bruneau. Mais si les gens sont capables de revoir les événements dans lesquels ils ont vécu, de les remettre en contexte et de les voir sous un autre angle, ils vont peut-être être capables de faire la paix avec ça. »
Comme M. Castonguay l’a fait pour son livre, M. Bruneau est allé à la rencontre de près d’une trentaine de personnes ayant été aux premières loges de la gestion de la crise, notamment des politiciens, des entrepreneurs, des fonctionnaires et des scientifiques. Avec le recul, plusieurs livrent leurs souvenirs et leurs impressions avec une certaine candeur.
« Il y a des questions qu’Éric a pu poser que moi je n’ai pas pu poser au moment où j’écrivais le livre, rapporte le journaliste, animateur de l’émission Midi Info à ICI Première. On peut mieux mesurer les bons coups, les regrets, les remords de certains et voir comment ils ont vécu ça émotivement. »
Le premier épisode met l’accent sur les défis logistiques, en particulier l’approvisionnement en équipements de protection individuelle pour les travailleurs de la santé. La concurrence mondiale était telle que les dirigeants et entrepreneurs ont livré tout un combat pour en obtenir.
« On s’est retrouvés avec des valises de cash sur le tarmac en Chine pour réussir à ramasser des masques », souligne M. Bruneau.
Certaines entreprises comme Chrono Aviation et Surmesur se sont réinventées et ont usé de stratégie pour mettre la main sur de précieuses cargaisons. « Sans eux, on aurait été dans le pétrin », estime M. Castonguay.

S’arracher les cheveux
Au centre du deuxième épisode se trouvent le premier ministre François Legault, des membres importants de son cabinet, l’ex-directeur national de santé publique du Québec Horacio Arruda et de hauts dirigeants du ministère de la Santé et des Services sociaux. Le récit commence vers le 9 mars 2020, quand tout ce beau monde commence à réaliser que l’heure est grave.
Les périls ont rapidement été multiples : réseaux de télécommunications surchargés, manque de lits dans les hôpitaux, manque de personnel dans les CHSLD. Ceux qui géraient cette crise se sont arraché les cheveux et ils ont bien souvent improvisé. Encore aujourd’hui, plusieurs d’entre eux semblent traumatisés par leur expérience.
De façon consensuelle, ils ont presque tous défini comme leur « pire journée » le jour où ils ont pris connaissance de la tragédie au CHSLD Herron, où 47 personnes sont mortes dans des conditions horribles. La Dre Lucie Opatrny, alors sous-ministre adjointe au MSSS, se dit carrément hantée par ce qui est arrivé.
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Les ratés
Le troisième épisode tente de décortiquer la frustration grandissante d’une partie de la population face aux mesures sanitaires. Éric Bruneau donne d’ailleurs la parole à Pat Dupuis, un ancien membre du regroupement des Farfadaas, qui s’opposait à ces mesures. Divers intervenants soulignent aussi comment certaines populations marginalisées ont été laissées pour compte.
Malgré la rétrospection, il ne faut pas s’attendre à énormément d’introspection de la part des dirigeants, en particulier du premier ministre du Québec. Pas de grand mea culpa en vue. Ils ont tendance à défendre leur bilan plutôt que d’admettre leurs erreurs, convaincus qu’ils ont fait le mieux qu’ils ont pu avec les informations qu’ils avaient, fait remarquer Alec Castonguay.
La série réussit par ailleurs à prendre un ton relativement léger. « Ça n’a pas besoin d’être lourd pour être informatif », juge le réalisateur Sébastien Trahan.
Le documentaire lance aussi une grande question : est-on prêts, au Québec, pour la prochaine pandémie ? « On a appris certaines leçons, croit Alec Castonguay. On a une réserve stratégique de blouses, de masques, de gants. On fait des masques N95 à Saint-Laurent, donc on n’est plus dépendants de la Chine. On a un programme d’autonomie alimentaire beaucoup plus développé avec le système de serres. On ne repartirait pas de zéro, mais ça resterait encore un énorme choc, et il y a plein de choses qui ne sont pas réglées. »