Désarroi palpable en haut lieu à la DPJ

Comme si sa crédibilité n’était pas déjà suffisamment entachée, la Direction de la protection de la jeunesse (DPJ) subit, avec le scandale sexuel de la Cité-des-Prairies, la secousse ultime, celle à travers laquelle les questions de bonne gouvernance doivent se poser. La directrice nationale de la protection de la jeunesse, Catherine Lemay, a offert sa démission lundi, pressée de le faire par le ministre responsable des Services sociaux, Lionel Carmant, lui-même en plein désarroi. Est-ce que ça sera suffisant ?

L’étalage dans les médias d’un stratagème d’apparence systémique liant sexuellement des éducatrices du centre de réadaptation de la Cité-des-Prairies à de jeunes contrevenants d’âge mineur est sidérant. L’affaire a « levé le coeur » du ministre Carmant, qu’on sent par ailleurs dépassé par la situation. Il affirme s’inquiéter que d’autres centres jeunesse ailleurs au Québec soient le théâtre du même type de relations abusives signant à nouveau la faillite des DPJ à mener leur mission première de protection des enfants.

Cité-des-Prairies est un centre de réadaptation pour des adolescents ayant commis des crimes graves, longtemps considéré comme le « bout de la ligne ». Un premier signalement dénonçant une relation inappropriée entre un jeune et son éducatrice est tombé à la mi-août, à la suite de quoi une enquête administrative interne a été lancée. Ses résultats furent à ce point accablants qu’une chaîne d’événements menant au départ de la grande dirigeante de la DPJ fut lancée. Une enquête policière est en cours. Même le ministre Carmant n’exclut pas publiquement que des groupes criminels soient impliqués dans ce « système ».

Lorsqu’un signalement est effectué, que ce soit pour un enfant qu’on soupçonne être la victime de mauvais traitements ou pour un adolescent subissant des inconduites sexuelles de la part de sa prétendue protectrice, il s’est souvent écoulé beaucoup de temps entre le début des sévices et leur dénonciation. Le chemin d’une délation est long et tortueux. Dans le cas de la Cité-des-Prairies, où plusieurs personnes sont apparemment impliquées, on comprend qu’une culture du silence a contribué à étouffer cette affaire si effarante qu’elle est difficile à croire.

La directrice nationale de la protection de la jeunesse aurait été mise au courant du scandale début octobre. Le ministre Lionel Carmant affirme qu’il l’a ensuite su « il y a une semaine ou deux », trop tard à son goût. Insatisfait des prises de décision trop molles de Catherine Lemay, et de la chaîne de communication liant le terrain aux hautes instances, le ministre a demandé, et sitôt obtenu, le départ de Mme Lemay. Elle aura été la première directrice nationale de la protection de la jeunesse, nommée dans la foulée de la publication du rapport Laurent, issu de la Commission spéciale sur les droits des enfants et la protection de la jeunesse. Considérant le rôle crucial associé à cette fonction, le départ de Mme Lemay est compréhensible. Signera-t-il toutefois la fin de tous les problèmes ? Il serait irresponsable de le croire.

La loi lui confiait notamment la responsabilité d’exercer « les contrôles requis à l’égard des interventions en protection de la jeunesse », de donner des directives aux dirigeants de la protection de la jeunesse, d’effectuer des enquêtes et d’exiger que des correctifs soient apportés lorsque nécessaire. C’est apparemment sur ce dernier point que le ministre se voit déçu, comme il l’a expliqué en citant en exemple non seulement la Cité-des-Prairies, mais aussi la mise sous tutelle récente de la DPJ de la Mauricie-et-du-Centre-du-Québec.

La directrice nationale de la protection de la jeunesse peut bien démissionner et être remplacée, mais en quoi cela nous assure-t-il que la suite des choses s’écrira sous un meilleur jour, et garantira la sécurité des protégés de la DPJ ? L’échec de Catherine Lemay n’est-il pas aussi un peu celui du ministre des Services sociaux, Lionel Carmant, dont le leadership semble chétif ? Celui-ci affirme s’attaquer à un important « problème de culture » dans les centres jeunesse, qu’il présente comme un chantier majeur. Si cela s’apparente aux problèmes de paralysie secouant aussi les réseaux de la santé et de l’éducation, ça ne peut pas reposer sur les épaules d’une seule personne. La culture d’autonomie et de confidentialité flottant dans les DPJ est bien cimentée, ce qui peut complexifier toute intervention ministérielle. Il a lui aussi la responsabilité de relever le niveau de son action.

Les problèmes déterrés par les médias ces derniers temps montrent des services publics atteints par une pénurie de personnel si grave qu’elle en est venue à rabaisser un seuil minimal de compétences pour prendre soin des plus vulnérables, qu’ils soient patients dans un établissement de santé, élèves dans une école ou mineurs placés sous l’égide de la protection de la jeunesse.

Les appels à la délation multipliés par les représentants du gouvernement Legault donnent l’impression de dirigeants ne sachant plus tellement où donner de la tête tant la cassure est grave. Le portrait d’ensemble n’est pas rassurant.

Ce texte fait partie de notre section Opinion. Il s’agit d’un éditorial et, à ce titre, il reflète les valeurs et la position du Devoir telles que définies par son directeur en collégialité avec l’équipe éditoriale.

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