Dérapages en éducation

La réaction du ministre de l’Éducation à la décision du conseil d’établissement de l’école du Plateau d’empêcher les jeunes inscrits en mathématiques et en sciences enrichies de participer à des programmes de concentration sportive ou culturelle est loin de confirmer qu’il a les compétences nécessaires pour occuper son poste. Cette microgestion ciblée — car le cas de cette école n’est pas exceptionnel — est d’autant plus navrante qu’elle semble vouloir nous distraire des bouleversements imposés au système scolaire tout entier ces derniers mois. Coupes qui, ose-t-on nous répéter, n’affectent pas les services aux élèves…
C’est que, voyez-vous, les classes à rénover ou à sortir de terre n’ont en fait que peu d’impacts dans leur quotidien. Tout comme les sorties éducatives, d’ailleurs. On se demanderait presque pourquoi certains syndicats ont négocié dans leur convention la protection de budgets consacrés aux services aux élèves. Le fait est que personne n’est à l’abri de coupes, surtout sous un gouvernement ayant choisi de réduire les revenus de l’État.
Quant à ces milliers d’enseignants non légalement qualifiés engagés pour pallier une pénurie causée — en grande partie — par des années de conditions de travail de moins en moins tolérables, choix fut fait de réduire radicalement les exigences légales menant au statut d’enseignant qualifié. Bien que je n’en veuille pas à ceux — et j’en connais de formidables — qui viennent nous prêter main-forte dans nos écoles, mon baccalauréat en enseignement du français au secondaire a certainement perdu de son précieux poids aux yeux de ceux qui gouvernent notre province.
Mais réduire, comme le ministre est porté à le faire, la motivation scolaire à la pratique d’un sport est d’un défaitisme déconcertant. C’est hélas — il l’a bien compris — ce à quoi a été réduite l’école pour bien des gens : l’importance d’avoir accès à une concentration qui puisse garantir la motivation de leur enfant. Une motivation semblant de moins en moins être alimentée par la curiosité, le désir de savoir, l’intérêt de comprendre et le plaisir de partager.
Mais est-ce ainsi que l’on élève une génération ? En excusant la punition des apprentissages par des concentrations attrayantes ?
C’est pourtant malgré ce discours ambiant, qui limite l’importance des disciplines aux intérêts manifestés par les enfants, que l’enseignant doit rendre son cours intéressant et efficace.
En effet, l’horaire étant ce qu’il est (par définition limité), place doit être cédée, parfois âprement, pour que ces concentrations, ayant pour but de rendre — enfin ! — l’école attrayante, puissent exister. Tout ce temps accordé, chaque enseignant en avait pourtant besoin pour faire mieux réussir ses élèves.
Ainsi, officiellement, le programme de français de quatrième secondaire pourrait être enseigné en 200 heures. Il l’est généralement en 150 heures. Le quart du contenu s’en trouve-t-il pour autant brutalement élagué ? Bien sûr que non. Certains priorisent l’écriture, d’autres sauvegardent l’art dramatique. Les projets possibles sont réduits à l’essentiel. Mais des sacrifices sont inévitables. Dans les exercices, les épreuves formatives, les lectures accompagnées, les débats, les dérapages…
Ces dérapages, fondamentalement appréciés, autant par les profs que par les élèves, sont des moments d’authenticité qui constituent des souvenirs précieux. Ils contribuent au fameux lien entre les élèves, l’enseignant et la matière. Mais ils deviennent de plus en plus rares sous la pression du temps qu’il nous reste face à des retards d’apprentissage qui s’aggravent. C’est le plaisir sacrifié d’une passion réduite à des automatismes.
Tout ce temps retiré à chaque enseignant aurait ainsi pu permettre de rendre son propre cours plus intéressant, et de mieux accompagner ses élèves. Car, précisons-le, cette réduction d’heures par groupe implique plus de groupes auxquels enseigner, plus de correction, plus d’élèves à suivre, mais moins de temps à consacrer à chacun, tout ça pour le même nombre d’heures reconnues.
Les sacrifices consentis par les enseignants dans leurs cours respectifs pour accueillir des concentrations ne doivent pas être sous-estimés. Ce genre de décision n’est facile à prendre que lorsqu’on n’y connaît rien, encore plus lorsqu’on surgit tel un chien dans un jeu de quilles, comme l’ont fait deux ministres du haut de leur ignorance, bafouant sans aucun égard l’autorité légale et l’expertise reconnue de l’équipe-école du Plateau. Ce précédent ne peut qu’inquiéter quant à la façon dont le ministre de l’Éducation compte utiliser son pouvoir.
S’il faut reconnaître la valeur relative mais certaine des bienfaits d’une concentration, il faut aussi accepter que les exigences de certains parents vont malheureusement au-delà des capacités de payer du gouvernement. C’est tout. Les contraintes en sont de temps, d’espace et d’enseignants disponibles. De plus petits groupes dans des classes plus nombreuses, et une partie du dilemme serait déjà en voie de se régler.
Mais ce ministre exige de ses subalternes ce que son gouvernement empêche d’offrir. Pis encore, la nature même de la vision étriquée qu’il valorise ne fait que justifier l’urgente nécessité d’une profonde remise en question collective de l’école québécoise, comme cela est réclamé depuis longtemps, mais qu’il se refuse à faire, préférant gérer à la pièce pour tenter de bien paraître.
Ce texte fait partie de notre section Opinion, qui favorise une pluralité des voix et des idées en accueillant autant les analyses et commentaires de ses lecteurs que ceux de penseurs et experts d’ici et d’ailleurs. Envie d’y prendre part? Soumettez votre texte à l’adresse opinion@ledevoir.com. Juste envie d’en lire plus? Abonnez-vous à notre Courrier des idées.