Depuis 25 ans, Bouge de là danse pour les enfants

La chorégraphe Hélène Langevin, à droite, et la danseuse Audrey Bergeron présentent le spectacle «Un nuage dans mon ventre» à l’occasion du 25e anniversaire de la compagnie de danse Bouge de là.
Photo: Valérian Mazataud Le Devoir La chorégraphe Hélène Langevin, à droite, et la danseuse Audrey Bergeron présentent le spectacle «Un nuage dans mon ventre» à l’occasion du 25e anniversaire de la compagnie de danse Bouge de là.

La compagnie de danse Bouge de là souffle ses 25 bougies, toujours avec son coeur d’enfant. Forcément : elle demeure la seule compagnie de danse absolument consacrée aux spectacles pour les 5 à 12 ans. « Parce que je fais pas les bébés, ça me distrait trop s’ils pleurent », dit en rigolant la directrice artistique et fondatrice Hélène Langevin. « Et je fais pas les ados. Mon Dieu ! Trop compliqués ! »

Pour l’anniversaire : une nouvelle création. Et une passation, alors que Mme Langevin cède les rênes des chorégraphies à Audrey Bergeron.

Un nuage dans mon ventre, trio dansé qui porte sur les émotions, leurs fluctuations, leurs incarnations et leurs transformations, est la nouvelle création de Bouge de là, qui en produit grosso modo une nouvelle tous les deux ans et demi depuis 2000. « Je suis allée mener des entrevues auprès d’enfants pour chercher l’inconscient de leurs émotions. Les faire jaser », raconte Audrey Bergeron, co-chorégraphe et hypnothérapeute.

« Parmi ces enfants, il y avait Margot Lasbats, qui parlait avec des images vraiment fortes » et dont la voix a été intégrée au spectacle, où les six émotions primaires sont abordées de front : joie, tristesse, dégoût, peur, colère et surprise. « On effleure aussi les émotions plus complexes. » Hélène Langevin de poursuivre : « Et on est en danse, donc on regarde comment l’émotion entre dans le corps, en sort, change. »

Autres temps, autres chances

Depuis sa création en 2000, avec La tribu Hurluberlu, Bouge de là a donné 1550 spectacles et 4500 ateliers de médiation. Car la médiation est essentielle avec le jeune public, surtout le tout jeune, estime Mme Langevin.

Comment est née la compagnie ? « On venait de finir l’aventure de Brouhaha Danse », rappelle Hélène Langevin. Depuis la fin des années 1980, ce collectif, qui comptait aussi Rolline Laporte, Ginette Ferland et Guylaine Savoie, semait le trouble. À coups de happenings, de guitares électriques, de sujets politiques, d’humour, ces femmes faisaient contrepoint d’une époque qui chantait des chorégraphies plus formelles — celles de Louise Bédard, Sylvain Émard ou Paul-André Fortier, par exemple.

« J’étais celle de la gang qui arrivait avec une touche d’humour. Ou avec un regard poétique un peu drôle, un peu décalé. »

C’était en d’autres temps, d’autres moeurs et d’autres moyens, avec un autre esprit du financement des arts. « Le théâtre faisait dans le jeunesse depuis longtemps, ils avaient des décennies d’avance sur la danse », rappelle Mme Langevin. Bien vrai : en 1967 naît le Théâtre pour enfants de Québec. Si le genre reste marginal, on voit apparaître 67 créations de théâtre jeunesse au Québec entre 1965 et 1973. En danse, nada, ou presque.

Ainsi, fin des années 1990, Hélène Langevin reçoit carrément un coup de fil de Claire Adamczyk, alors au Conseil des arts de Montréal. Cette pionnière du développement de la danse au Québec et de son évolution administrative « pensait que ce serait bon pour le développement de la danse s’il y avait une compagnie pour enfants ; ils avaient des sous. C’était une autre époque », raconte en soupirant et en souriant tout à la fois Mme Langevin. Bouge de là était né.

Les identités de danse

Depuis, Vieux Thomas et la petite fée, en 2008, a marqué les esprits. L’atelier (2010), sur l’univers des arts plastiques et visuels, et 26 lettres à danser (2016) restent les créations préférées d’Hélène Langevin. En 2022, Glitch !, qui utilise des lasers, est la première pièce cosignée avec Audrey Bergeron.

Chez Bouge de là, Mme Bergeron a d’abord dansé en 2006, puis de retour en 2013. Aujourd’hui, c’est elle la tête principale des mouvements.

« Je ne me sens plus chorégraphe maintenant », indique sans tristesse ni amertume Hélène Langevin. « Je vais vers ma retraite, et je vois qu’il y a un épuisement au niveau des idées, des images », confie la créatrice de 65 ans. Elle restera directrice artistique : « C’est ma compagnie, mon identité ; ce mélange de danse théâtre, d’humour. La recherche avec les autres disciplines artistiques et la vidéo, c’est ma marque. »

« Et tu as une connaissance fine du jeune public aussi », renchérit Audrey Bergeron. « Oui. Mais une signature chorégraphique, j’ai pas ça. J’ai toujours travaillé en équipe. Et Audrey et moi, on se connaît, ça se fait tout doucement », dit Mme Langevin. Une transition qui glisse « de manière très naturelle », poursuit Mme Bergeron. « Et qui nous permet de trouver nos places, nos rôles, et de voir au fur et à mesure. »

Juste la vie d’artiste

Aujourd’hui, d’autres compagnies donnent dans la chorégraphie jeunesse : PPS Danse, Cas public, Sursaut, Destins croisés ou Simon Ampleman. Le réseau s’est développé, les « scolaires » en danse ne sont peut-être pas fréquentes, mais elles ne sont certainement plus rares.

Bouge de là devrait donner entre 150 et 225 représentations de Un nuage dans mon ventre sur les deux prochaines années : au Québec, « partout ! », et un peu aussi au Canada. « C’est vraiment bien pour les danseurs », souligne Audrey Bergeron, qui a vécu ce côté des choses. « On peut assurer un revenu important. »

Quel voeu de fête pour Bouge de là ? « Je souhaite la pérennité. C’est important, une compagnie de danse jeune public. Que ça reste un moteur », observe Hélène Langevin. Car l’administration des arts est devenue si lourde au fil du temps qu’il faut tenter de conserver les structures déjà existantes et leurs budgets historiques, croient les deux femmes.

Même si les moyens de création diminuent, « dans ma compagnie, j’ai une directrice générale et une responsable de l’administration ! De nos jours, c’est un luxe, presque », se réjouit Mme Langevin. « Ma job, c’est vraiment de créer et de donner les ateliers aux enfants. J’ai pas besoin de faire de l’administration, comme tous ceux qui commencent aujourd’hui. »

Audrey Bergeron renchérit. « J’ai monté mes projets, surtout pendant la pandémie. Je peux pas te dire à quel point ça fait du bien de pouvoir juste chorégraphier, juste diriger des répétitions. » De faire une job d’artiste, en d’autres mots.

Un nuage dans mon ventre

Bouge de là, à la Maison culturelle et communautaire de Montréal-Nord, du 19 au 23 octobre, puis en tournée au Québec.

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