La démocratisation inachevée du système éducatif québécois

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En 1966, la Commission royale d’enquête sur l’enseignement dans la province de Québec, mieux connue sous le nom de commission Parent, soumettait au gouvernement québécois le dernier tome de son rapport qui allait servir de guide pour mettre en place des réformes scolaires successives. Dans la foulée des projets de la Révolution tranquille, le développement de l’éducation n’était pas considéré seulement comme une clé essentielle de la formation d’une main-d’oeuvre qualifiée et de la modernisation de l’économie, mais aussi et surtout comme un instrument de justice sociale.
« Qui s’instruit s’enrichit », tel était le slogan véhiculé par le gouvernement libéral de Jean Lesage dans le but de mobiliser la population québécoise à se scolariser et à améliorer ses conditions de vie. La réforme Parent soulignait l’urgence de mettre en place un système scolaire capable de répondre à la demande croissante d’une main-d’oeuvre qualifiée dans une société en pleine industrialisation et une économie plus que jamais diversifiée.
Afin de concilier le développement économique et la cohésion sociale, le système scolaire envisagé par la commission Parent reposait sur les principes de la démocratie.
Égalité et liberté
En premier lieu, le Québec voulait instaurer un système égalitaire accessible à tous ses citoyens. Dans sa définition générale, la démocratisation de l’éducation telle qu’envisagée par la Commission devait se traduire d’abord par l’égalité des chances d’accès à tous les niveaux d’enseignement, indépendamment de la fortune des parents, du sexe ou de tout autre facteur d’exclusion sociale.
Autrement dit, il s’agissait de mettre fin aux pratiques institutionnelles élitistes et de s’assurer que l’accès à l’école ne soit plus un privilège réservé aux enfants des familles riches, aux hommes et à la population urbaine. Il était question de concrétiser la « reconnaissance du droit à l’éducation » en accordant à chaque jeune et à chaque adulte les moyens de s’instruire jusqu’au niveau le plus élevé souhaité selon ses aspirations, et indépendamment de ses origines et de ses caractéristiques personnelles.
Par ailleurs, la réforme mise en oeuvre visait à harmoniser la qualité de la formation, car celle-ci était jusqu’alors éclatée. Même parmi ceux qui accédaient à l’école, une infime minorité bénéficiait d’un enseignement de qualité et pouvait réellement tirer profit de l’éducation scolaire.
En deuxième lieu, la vision démocratique visait à concilier l’égalité à la liberté. Pour cela, des mesures ont été mises en place pour offrir des formations diversifiées de manière à tenir compte des aptitudes et des intérêts de chacun et à donner à chacun la possibilité d’emprunter le cheminement scolaire qui lui convient.
Désormais, les étudiants n’avaient pas seulement le droit de choisir les filières d’orientation scolaire et professionnelle de leur goût. Ils étaient libres de changer d’orientation, d’effectuer des allers-retours entre les niveaux d’enseignement (secondaire, collégial et universitaire) pour acquérir la formation souhaitée où et quand ils le voulaient.
L’enseignement secondaire a reçu une attention particulière de la part de la Commission, qui le considérait comme la clé de la réforme. Il était souhaité d’abord que celui-ci soit gratuit et obligatoire pour tous, afin de s’assurer que chaque jeune adulte acquiert une formation minimum de base pour s’intégrer dans la société.
C’est pourquoi il a été décidé de mettre en place une école secondaire polyvalente, afin que tous les jeunes passent par la même école et suivent la même formation dans le souci de mettre fin à l’éclatement et à l’éparpillement des filières, des programmes et des types d’établissements secondaires qui désarticulaient depuis trop longtemps le système d’éducation québécois.
La fin de la hiérarchisation
L’école polyvalente cherchait aussi à mettre fin à la hiérarchisation des programmes secondaires par laquelle l’élite monopolisait le droit au cours classique tandis que le reste de la population se contentait des programmes, dont les débouchés et la valeur sociale étaient jugés inférieurs. En d’autres mots, la Commission soulignait la nécessité de rehausser la qualité de la formation de manière que les contenus et les conditions d’enseignement soient comparables entre des établissements équivalents.
L’enseignement postsecondaire a fait aussi l’objet de changements majeurs, mais le plus important, le plus original et le plus inédit fut sa division en deux paliers successifs : le collège d’enseignement général et professionnel (cégep) et l’université.
En 1967, les premiers cégeps sont créés, et ils seront progressivement disséminés partout, de sorte que chaque région dispose d’au moins un établissement. Afin de les rendre plus accessibles, la commission Parent recommandait de diversifier l’enseignement secondaire en filières dont les diplômes seraient équivalents.
La création des cégeps permettra d’élargir l’accès à l’enseignement postsecondaire, plus particulièrement pour les étudiants francophones, qui affichaient un certain retard par rapport aux anglophones. L’accessibilité et la démocratisation de l’université se concrétisaient, quant à elles, par deux principales mesures : l’extension des établissements existants et la création du réseau de l’Université du Québec en 1968, qui compte aujourd’hui une dizaine de constituantes dans différentes régions.
Un bilan positif
Près de soixante ans après le rapport final de la commission Parent, quel bilan peut-on faire de cette politique québécoise de la démocratisation de l’éducation ? Celui-ci est certes positif, mais il présente deux visages.
D’entrée de jeu, l’égalité en éducation ne se limite pas à garantir que les personnes de différentes appartenances sociales aient le droit d’accéder à l’école, il faut aussi qu’elles bénéficient des ressources et services nécessaires pour réussir, obtenir un diplôme et en tirer profit de manière équitable dans le marché du travail.
C’est en ce sens qu’en 1996-1997, le gouvernement péquiste mettait à jour la réforme Parent en instituant une autre réforme intitulée Virage vers le succès, plus tard rebaptisée Renouveau pédagogique, centrée sur la réussite et l’obtention du diplôme. Il s’agit d’une nouvelle étape de la démocratisation pour rendre le système éducatif juste et équitable.
Les données statistiques font état d’un bilan largement positif de ce couplage de l’égalité d’accès à celle de la réussite et de son impact sur la société.
Taux de diplomation variable
Le Québec fait aujourd’hui partie des sociétés les plus scolarisées dans le monde et où les taux de diplômés des différents niveaux d’enseignement sont les plus élevés. Par cohorte, ces taux oscillent autour de 84 % pour le secondaire, de 50 % pour le cégep et de 33 % pour le baccalauréat (premier cycle universitaire).
Autrement dit, plus de huit élèves sur dix qui commencent l’école primaire obtiennent plus tard un diplôme d’études secondaires avant l’âge de 20 ans et presque dix après l’âge de 20 ans. Cinq obtiennent celui des études supérieures, parmi lesquels trois détiendront un baccalauréat.
Derrière cet enseignement de masse se dissimulent cependant des inégalités sociales significatives. Si l’enseignement secondaire est gratuit et obligatoire pour tous les jeunes résidant sur le territoire québécois, le taux de diplomation par cohorte varie sensiblement selon le genre, le réseau d’établissements fréquenté (privé ou public), l’origine ethnique et immigrée des parents, leur revenu et leur scolarité, mais surtout leur appartenance ou non à un groupe racisé et le fait d’appartenir à une communauté autochtone.
La situation est plus cruciale au cégep et à l’université, où l’on observe des disparités fortement significatives entre les hommes et les femmes, selon le revenu et la scolarité des parents, l’origine ethnique ou l’identification à un groupe racisé ou autochtone, mais aussi selon le statut d’élève/étudiant en situation de handicap ou de difficultés d’apprentissage et d’adaptation sociale et scolaire (EHDAA).
Un projet inachevé
En somme, tout en reconnaissant les avancées indéniables de la démocratisation du système québécois, il importe aussi de souligner que celle-ci est encore un projet inachevé et que les mécanismes à l’origine des inégalités sociales et raciales se renouvellent au gré du temps selon l’évolution de la société et qu’il faut rester vigilant.
Parmi ces mécanismes figurent l’apparition et la consolidation de l’école à plusieurs vitesses, nourrie par la compétition entre les réseaux public et privé, accentuant l’exclusion, le racisme, le linguicisme et la discrimination, mais aussi, dans le contexte d’accroissement et de diversification des populations immigrantes, l’homophobie et la transphobie, les défis que pose l’inclusion scolaire des EHDAA, l’augmentation des écarts de revenu entre familles aisées et modestes, etc.
En conclusion, il importe de rappeler que la reconfiguration des inégalités scolaires au Québec n’est pas un simple effet de la stratification sociale, mais que le système scolaire les produit par son fonctionnement, par le choix des politiques qui le structurent ainsi que par le choix de formations reçues par les personnels et les pratiques qu’ils mettent en oeuvre au quotidien.
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