Décès de Serge Fisette, défenseur de la sculpture québécoise

Serge Fisette fut tour à tour commissaire, éditeur, écrivain et cofondateur de l’événement trisannuel Artefact: sculptures urbaines.
Photo: Claude Guérin Serge Fisette fut tour à tour commissaire, éditeur, écrivain et cofondateur de l’événement trisannuel Artefact: sculptures urbaines.

D’abord potier et céramiste, Serge Fisette, né en 1944, est rapidement devenu un des grands défenseurs de la sculpture québécoise. Il est décédé le 30 décembre 2024, à 80 ans. Cofondateur et longtemps directeur de la revue Espace sculpture, la première au Canada consacrée à cet art, M. Fisette fut tour à tour commissaire, éditeur, écrivain et cofondateur de l’événement trisannuel Artefact, à Montréal (2001 à 2007), qui a donné une impulsion nouvelle à l’art public éphémère. Souvenirs d’un homme discret.

« Serge Fisette a travaillé toute sa vie pour donner une plus grande place à cet art de la sculpture, qui était à l’époque mésestimé », résume la sculptrice Joëlle Morosoli. « Son mérite a été de la revaloriser. »

Réservé, M. Fisette était « un personnage très généreux, qui passait facilement de la pratique à la théorie », et souvent dans cet ordre pas habituel des choses, rappelle le critique d’art Gilles Daigneault. Il commencera, par exemple, à écrire sur la sculpture avant de devenir historien de l’art. « C’était un fou d’écriture et d’édition », commente M. Daigneault.

Serge Fisette reprendra et détournera le bulletin du Conseil de la sculpture du Québec, un feuillet de quelques pages, pour en faire en 1984 la revue Espace sculpture, aux côtés de Joëlle Morosoli et d’Édouard Lachapelle. « C’était la toute première revue consacrée exclusivement à la sculpture et la seule à l’époque dans tout le Canada », explique Mme Morosoli.

« Il faut se rappeler que la revue a été lancée alors que la peinture domine encore complètement, dans la foulée du Refus global », explique le collègue au Devoir et spécialiste en arts visuels Nicolas Mavrikakis, qui a travaillé à la revue et auprès de M. Fisette.

« Le marché et les historiens de l’art défendaient davantage la peinture, et Fisette arrive alors en rappelant ce que la sculpture et les installations apportent d’intéressant », poursuit-il.

Dans un monde pré-Internet, Espace sculpture et ses quatre numéros par an était une plateforme visuelle rare pour une multitude de sculpteurs, un des seuls lieux où leur travail pouvait être vu, ajoute Mme Morosoli.

« Ça a été aussi un lieu important pour de nombreux historiens de l’art. » Serge Fisette a été directeur de la revue jusqu’à la toute fin de 2013. Rebaptisée en 2014 Espace art actuel, la publication sort désormais trois fois par année.

Poser des sculptures dans le milieu du chemin

Écrivain polygraphe, Serge Fisette a signé quelques recueils de poésie aux Heures bleues et le livre Symposiums de sculpture au Québec. 1964-1997.

« Il s’est toujours intéressé aux “super-minorités” », résume Gilles Daigneault. Chez les sculpteurs, déjà minoritaires dans les arts, il met en lumière les femmes, par exemple, en écrivant La sculpture et le vent. Femmes sculpteures au Québec (2004). S’y trouvent 15 artistes, dont Micheline Beauchemin, Françoise Sullivan, Cozic et Eva Brandl.

« C’était très important, ce livre. L’imaginaire de la sculpture demeurait réducteur : le métier était vu comme un métier d’homme, parce que “la sculpture, c’est lourd…” », résume Nicolas Mavrikakis. Plus récemment, M. Fiset a publié L’homosexualité masculine au Québec. De la Nouvelle-France à nos jours (Québec Amérique, 2021).

« Mais son idée de génie », selon Gilles Daigneault, « qu’il a eu sur le tard, alors qu’il était très soucieux de la diffusion des arts, ç’a été de se demander : “Et si on emmenait plutôt les sculptures vers les gens ?” »

« En choisissant des lieux parmi les plus fréquentés de Montréal, comme le canal Lachine, le mont Royal, le site d’Expo 67, et en invitant [d’abord 10, puis une douzaine et enfin une vingtaine de sculpteurs] à y installer leurs œuvres, il créait toute une rencontre avec le public », croit M. Daigneault, qui a été commissaire d’Artefact (2001, 2004 et 2007) avant que l’événement ne cesse ses activités, par manque de financement public.

Pour la consultante en art public Francyne Lord, qui était à l’époque la directrice du Bureau d’art public de Montréal, l’apport d’Artefact a été remarquable. « Ç’a été le premier lieu à offrir une possibilité d’expérimentation de l’art public éphémère, contrairement à l’art public pérenne », où l’artiste doit alors répondre à une commande, à des contraintes, gagner un concours.

« Lors de l’édition sur le mont Royal, les artistes choisissaient leur emplacement et leurs parcours, parfois les plus improbables. Louise Viger a suspendu une œuvre faite de 4000 bréchets de poulet dans un arbre. André Du Bois a travaillé avec une fente qui se trouvait dans le parc. » L’événement offrait ainsi une liberté de création, de matériaux, de lien avec le lieu d’exposition et avec différents publics absolument rares, selon la spécialiste.

Serge Fisette a aussi cofondé l’ouvrage numérique Dictionnaire historique de la sculpture québécoise du XXe siècle.

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