La danse a encore de nombreux combats à mener

Marie-Josée R. Roy
Marie-Josée R. Roy
Selon le danseur Sovann Rochon-Prom Tep, les élans sont trop souvent coupés car les organismes se voient constamment limités par le seul fait de se demander s’ils vont pouvoir survivre.
Photo: Valerian Mazataud Archives Le Devoir Selon le danseur Sovann Rochon-Prom Tep, les élans sont trop souvent coupés car les organismes se voient constamment limités par le seul fait de se demander s’ils vont pouvoir survivre.

Ce texte fait partie du cahier spécial La danse au Québec

Le milieu de la danse est habitué à combattre. Le Regroupement québécois de la danse (RQD) est justement né, il y a 40 ans, d’une bataille acharnée pour la protection et la défense des interprètes. Et, tel un spectacle dansé, en constant mouvement, la vitalité de la discipline se renouvelle, au même rythme qu’apparaissent ses nouvelles luttes.

L’image, évocatrice, est de Cyrille Commer, directeur des finances et de l’administration du RQD, que nous avons réuni virtuellement avec Parise Mongrain, directrice générale de l’organisation depuis avril dernier, et Sovann Rochon-Prom Tep (alias Promo), artiste de street dance et organisateur d’événements, pour une discussion sur les grands défis actuels du milieu de la danse québécois. Il y a bien sûr l’écueil du sous-financement, qui en englobe plusieurs autres, mais il y a également des préoccupations sociales et culturelles, charnières pour l’adaptation et la pérennisation du secteur.

À tout le moins, nos trois intervenants s’entendent pour affirmer que leur champ d’activité se situe aujourd’hui à un tournant : le coeur rempli d’espoir et d’élan, mais les ailes coupées par le manque de ressources et de perspectives à long terme.

« Le RQD, c’est 40 ans d’histoire, 40 ans de combats, de luttes, de défense des intérêts de la danse. Et on continue de défendre ce milieu-là. Parce que si quelqu’un fait cette démarche d’aller voir un spectacle de danse, il est transporté chaque fois. Il faut soutenir ça. C’est essentiel », résume Cyrille Commer.

Filet social et diversité

La question financière, « un défi de gestion important », reviendra à plusieurs reprises en cours de conversation, le Regroupement québécois de la danse y voyant son grand cheval de bataille de l’automne auprès des instances (ministère de la Culture et des Communications, Conseil des arts du Canada, Ville de Montréal).

Dans la foulée s’impose le nécessaire bilan du Plan directeur de la danse professionnelle au Québec 2011-2021, avant l’élaboration du Plan directeur 2025-2030, un processus devant s’étaler sur une partie de l’année 2025, estime Parise Mongrain, qui reconnaît l’envergure de la tâche.

« Les priorités sont beaucoup trop nombreuses pour pouvoir croire en la réalisation, sur un horizon de cinq ans, de toutes les mesures nécessaires à la croissance ou à la consolidation de la discipline. Le grand défi sera de prioriser les priorités », expose-t-elle.

Parmi les nécessaires points à faire valoir dans les prochaines batailles du RQD, l’implantation d’un filet social pour les travailleurs autonomes que sont les danseurs tient beaucoup à coeur à M. Commer.

« Il y a zéro protection et très peu d’accès aux assurances collectives. C’est pourtant tellement nécessaire. On parle ici d’interprètes qui travaillent avec leur corps. C’est comme une double peine… »

Photo: RQD En 2019, le Regroupement québécois de la danse a publié la bande dessinée Danser, ce n’est pas tout accepter, écrite par Sarah Arnal, Fabienne Cabado et Valérie Lessard et illustré par Sarah Arnal, afin de sensibiliser le milieu au harcèlement et aux autres violences qui le traversent.

Les efforts de sensibilité et d’enraiement du harcèlement et autres violences figurent en outre au nombre des dossiers à réviser, pour le RQD. Structurer un résumé des mesures érigées, essentiellement depuis l’émergence du mouvement #MoiAussi, devra forcément être mis à l’horaire.

« On est à l’étape où on doit s’asseoir et mesurer les effets de mesures mises en place dès 2018. Sont-elles efficaces et effectives ? Il faudrait revoir les violences en présence ; y en a-t-il toujours ? Comment se manifestent-elles ? Comment faire pour les éliminer ? On mise sur le dialogue et la prévention. On peut s’arrêter à la punition, mais on peut aussi prendre le pari de la justice réparatrice. Dans un sens plus large, il faut avancer ensemble, dans une perspective de cohésion sociale », dépeint Mme Mongrain.

Côté diversité, Sovann Rochon-Prom Tep considère que le milieu de la danse n’est toujours pas parfaitement inclusif. « On sait que les changements de fond prennent du temps », nuance Parise Mongrain, qui juge néanmoins que son milieu a été « inclusif à certains égards sur différentes diversités » au fil du temps. « La communauté LGBTQ, par exemple, est très présente dans le milieu de la danse, depuis longtemps », rappelle-t-elle. « On a encore beaucoup de chemin à faire, il faut cheminer avec authenticité, mais il y aura toujours différentes conceptions de l’atteinte des objectifs… »

D’autres préoccupations vont devoir être scrutées dans un avenir proche. Parmi elles, notamment, l’intégration de la relève — alors que même des danseurs plus expérimentés ont du mal à accéder à des niveaux professionnels en raison du manque de ressources —, la transition de carrière et la rareté des diffuseurs.

Sortir la danse de Montréal

Dans le contexte actuel, plaident nos trois intervenants, même les bonnes nouvelles entraînent leur lot de défis, entre autres pour ce qui est du rayonnement de la danse à l’extérieur de Montréal. Encore ici, le manque d’argent se fait cruellement sentir.

Par exemple, illustre Sovann Rochon-Prom Tep, la pandémie ayant poussé les gens à redécouvrir les régions, de nouveaux festivals valorisant la danse ont vu le jour ou ont gagné en ampleur ces dernières années, comme Furies en Gaspésie ou Mauricie arts vivants (MAV). Or, ces initiatives ne bénéficient pas toujours des budgets de leurs ambitions, déplore le danseur.

« Ces nouvelles réalités demandent un tournant rapide sur le plan du financement, pour pouvoir sortir la danse des grands centres. On a des organismes qui sont prêts à agir, à faire de grandes différences dans leur milieu, dans l’écosystème de la danse au Québec. Mais tous ces élans sont un peu coupés, et tous ces acteurs hypercompétents, prêts à créer du changement important, se voient constamment limités par le seul fait de savoir s’ils vont pouvoir survivre… » soulève M. Rochon-Prom Tep.

Voir à long terme

En somme, récapitule Parise Mongrain, l’un des souhaits du Regroupement québécois de la danse serait de « parvenir à ce qu’on puisse bénéficier d’une vision à long terme du développement des disciplines ».

« Ça semble toujours être des plans quinquennaux, triennaux. Est-on capable d’envisager plus loin, avec des moyens d’action précis ? On a besoin d’une véritable volonté gouvernementale de développer la danse, de l’implanter, de la décentraliser. Cela nécessite de bons investissements. Les organismes doivent être patients, parce qu’ils sont dans une démarche de développement. Il y a certainement de nouveaux publics à aller chercher, que la danse est parfaitement capable de rallier. »

En ce sens, Mme Mongrain rappelle que, cet été, au théâtre de Verdure du parc La Fontaine, à Montréal, deux des cinq rendez-vous les plus populaires ont été des spectacles de danse, ceux de 100Lux (organisme de street dance) et de la Compagnie Catherine Gaudet (danse contemporaine), qui côtoient au palmarès l’auteur-compositeur-interprète Diogo Ramos, l’Orchestre Métropolitain et Michel Rivard. Le Devoir rapportait d’ailleurs, le 29 août dernier, que la danse avait littéralement battu des records cette année au théâtre de Verdure, avec une moyenne de spectateurs de 1454 pour ce type de prestation, un chiffre environ 25 % supérieur à la moyenne d’assistance de toutes les disciplines confondues, qui tourne autour de 1165.

« On voit la puissance de la danse, observe Parise Mongrain. Quand on prend le risque — si on l’appelle un risque — de se déplacer pour vivre l’expérience de la danse à titre de spectateur, c’est rare que les gens soient indifférents. J’ai eu l’occasion de me promener au Québec pendant l’été, de voir et de parler à des publics et à des résidents dans des lieux qui accueillaient de nouvelles initiatives. Et je retiens les propos d’une dame retraitée qui m’a dit : “Moi, ça m’a appris l’ouverture. Ça m’a appris à m’ouvrir à la différence et à rester curieuse.” »

« Ça, pour moi, c’est un indice de la vitalité d’une population. Oui, la population peut être vieillissante, mais elle peut gagner en curiosité, elle peut élargir son spectre de consommation culturelle », conclut la directrice générale du RQD.

Ce contenu a été produit par l’équipe des publications spéciales du Devoir, relevant du marketing. La rédaction du Devoir n’y a pas pris part.

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