«NuancesTM»: raccourci vers un monde meilleur

Après les vagues de dénonciations et les adaptations sociétales qui les ont suivies, l’enjeu délicat de la rédemption occupe présentement bien des esprits. Car nous ne pouvons pas compter, comme dans la pièce de l’Américaine Steph Del Rosso, sur un algorithme conçu pour élaborer un programme de réinsertion adapté à chaque coupable. Or, la compagnie Nuances — nom évoquant brillamment ce que les agresseurs et les délinquants sexuels estiment souvent qu’il manque au discours de leurs victimes et des alliés de celles-ci, ces tristement célèbres « zones grises » — ne détient peut-être pas la solution clé en main qu’elle promeut.
Pour son premier opus, le Théâtre de la Lune rouge a jeté son dévolu sur une partition riche, dont la courbe narrative captive, dont les questionnements tourmentent et dont les protagonistes intriguent, voire fascinent. Qu’il s’agisse de Jess, la jeune recrue qui embrasse avec enthousiasme l’emploi de ses rêves ou encore de son acrimonieuse patronne, sans oublier les usagers. La majorité d’entre eux sont incarnés par un seul comédien, Charles Boivin-Groulx, qui se lance dans le périlleux mandat de portraitiser successivement différentes personnalités — représentant les cinquante (ou presque) nuances de la misogynie — en ne pouvant accorder à chacune que quelques secondes. On pardonnera donc, dans ce contexte de caricature assumée, un jeu parfois un peu trop appuyé.
Jess, en revanche, s’avère une figure complexe, mais qui semblera pourtant familière à plusieurs : déçue par ses expériences professionnelles et personnelles passées, sur le point de céder au cynisme, elle s’accroche aux idéaux et aux convictions qui lui restent. Et c’est sous une panoplie de sourires, tantôt ingénus, tantôt obséquieux ou convenus, que son interprète, Camille Massicotte, dissimule — tout en le laissant juste assez transparaître — le tumulte du combat entre espoir et désillusion qui se joue en elle.
Car sa rencontre avec un futur réformé en particulier ébranlera sa foi en l’entreprise qui, sous de nobles atours, commercialise pardon et rédemption. Sébastien, campé avec grande vérité par David Strasbourg, poursuit-il une démarche sincère d’expiation ou instrumentalise-t-il simplement un outil mis à sa disposition ?
Stéphanie Desrochers, dont il s’agit de la seconde mise en scène et qui codirige le Théâtre de la Lune rouge avec Camille Massicotte, a su orienter avec doigté, de façon générale, les membres de la distribution. Sa vision accorde aussi une place substantielle au vaste registre lumineux déployé par Alexandra Morissette, dont les éclairages servent tant à découper l’espace (essentiellement un bureau jouxtant la cuisine des employés, un dispositif probant signé Amélie Marchand) qu’à marquer les temporalités et les ambiances, ainsi qu’à illustrer symboliquement la technologie avancée mise en avant par l’entreprise.
Malgré son contenu comédique — distillé avec une heureuse parcimonie et fort efficacement servi par la traduction de Laurie Léveillé —, Nuances TM sème un trouble profond chez le spectateur ou la spectatrice en se faisant l’écho sagace de questionnements actuels implexes et épineux ainsi que de la délétère abjection dont peut faire preuve l’âme humaine.