«Sa dernière femme»: une féministe de la Renaissance

Héroïne, autrice, metteuse en scène : les femmes sont à l’honneur dans la pièce présentée au théâtre du Rideau vert. La dramaturge ontarienne Kate Hennig y met en valeur la méconnue Catherine Parr, sixième et ultime épouse d’Henri VIII. Dans Sa dernière femme, créée au Festival de Stratford en 2015, la dramaturge s’inspire librement de cette figure historique du XVIe siècle pour en faire une féministe avant l’heure et aborder le pouvoir, avec des mots comme « patriarcat ». Le spectacle mis en scène par Eda Holmes, directrice du Théâtre Centaur, a repris après une interruption de quelques jours due à une chute d’Henri Chassé — le comédien semble parfaitement rétabli.

Dès la première scène, la pièce frappe par la tonalité contemporaine de ses échanges, des dialogues assez vifs traduits par l’experte Maryse Warda, joués sans habits d’époque (soulignant les nombreux costumes signés Gillian Gallow). Catherine (Marie-Pier Labrecque) n’est même pas encore veuve lorsqu’Henri VIII commence à la « courtiser » brutalement. Et elle est amoureuse de Thomas Seymour (Mikhaïl Ahooja). Rien pour arrêter cet épouseur en série, qui obtient « toujours » ce qu’il veut. Si elle ne peut refuser cette union, cette femme érudite cherche à imposer ses conditions, dont l’obligation de consentement aux relations sexuelles. Elle parviendra parfois à mater ce souverain capricieux et malade. Et s’illustrera même par sa gestion du pays en son absence. Peut-être trop au goût de celui qui a déjà fait exécuter deux de ses prédécesseuses…
Sa dernière femme dessine aussi un portrait familial compliqué, qu’on pourrait qualifier de dysfonctionnel : un clan recomposé, avec les trois enfants d’Henri, issus de mères différentes. Chargée d’éduquer le jeune Édouard (campé en alternance par Julien Désy et Nathan Savoie) en vue du trône, la nouvelle reine se rapproche aussi des deux filles nées d’épouses répudiées, que le roi a déshéritées : la solaire Bess (Lauren Hartley) et l’austère Marie (intense Mounia Zahzam). Elle va manœuvrer pour restaurer leurs droits d’accession au trône. Le spectacle rend hommage éloquemment à ce legs historique important de Catherine Parr : c’est son intervention qui aura pavé la voie aux règnes de Marie Tudor et, surtout, d’Élisabeth Ire.

Mais ainsi, Kate Hennig semble vouloir comprimer beaucoup d’éléments dans sa pièce, un peu longuette, où les tractations du récit s’inscrivent dans un contexte historique et politique chargé, avec lequel nous sommes peu familiers. Pensons notamment à cette scène, vers la fin, qui condense, de manière un peu précipitée, la narration de beaucoup d’informations.
En général, les scènes les plus fortes restent les duels au sein du couple royal, qui a noué des relations mélangées, mouvantes, entre intimité et confrontation. Marie-Pier Labrecque déploie une performance passionnée et vigoureuse en ambitieuse femme de caractère, face à une composition ultimement très nuancée d’Henri Chassé.
Et ce qui frappe aujourd’hui, dans notre contexte particulier, c’est cette vision du pouvoir — dont la scénographie de Loïc Lacroix Hoy évoque l’écrasante dimension, et sa porte fermée à certaines. Une illustration de la faiblesse intérieure de ces hommes puissants qui utilisent la force brute et l’intimidation pour parvenir à leurs fins.