«Histoire d’une domestication», d’amour et de haine

C’est bien connu, l’amour est un oiseau rebelle. On en fait des chansons, des films, des romans. L’amour nous fait et nous défait.

Actrice célèbre et transsexuelle « dont la sympathie était inversement proportionnelle au talent », la narratrice d’Histoire d’une domestication, le second roman de l’écrivaine, actrice et chanteuse argentine Camila Sosa Villada, joue seule sur scène depuis deux ans La voix humaine, de Jean Cocteau. Une tragédie sentimentale en un acte dans laquelle on peut sans mal percevoir des échos de sa propre existence.

« Après avoir passé une grande partie de sa jeunesse à être une prostituée joviale et frivole, elle est devenue une comédienne culte. Elle avait pour habitude de dire que la prostitution et la comédie permettaient de déployer les mêmes ruses. » Sa vie hors norme va basculer le jour où elle accepte de se marier avec un riche avocat homosexuel tombé follement amoureux d’elle (qui possède encore ses attributs masculins), mesurant peut-être mal à quel point « elle ne serait plus jamais la trans libre et insouciante qu’elle avait été ».

Après avoir adopté un enfant séropositif de 6 ans, le couple va lentement s’enfoncer dans les méandres de la vie conjugale, où vont se mêler les contraintes et les joies de la vie de famille. Un drôle de déséquilibre qui va se transformer en un affrontement permanent, seulement tempéré, on le devine, par la présence de l’enfant.

Camila Sosa Villada, née en 1982, a été prostituée, vendeuse de rue et femme de chambre, avant de devenir actrice et de se faire plus largement connaître grâce à un premier roman saisissant, Les vilaines (Métailié, 2021). Un roman en partie inspiré de sa propre vie, qui racontait avec la force d’un manifeste les hauts et les bas d’une petite communauté trans de la ville de Córdoba, en Argentine.

La relation du couple est tourmentée, faite de part et d’autre d’infidélités. « Ils n’avaient jamais imaginé, pas plus elle que lui, que l’amour pouvait être aussi insupportable. » Il l’aime, mais préfère les hommes. Pour sa part, elle déteste « que le type qui dort avec elle lui soit infidèle avec un idiot qui ne sait pas qui est Marguerite Duras, qui n’a jamais vu un film de Pasolini, qui a si peu de choses à dire, sauf ce qu’il lui dit avec sa beauté ».

Les protagonistes d’Histoire d’une domestication sont exhibitionnistes, solitaires, formidablement égoïstes dans la satisfaction de leurs désirs. Mais quelque chose qui est de l’ordre du mystère, en même temps, les empêche de tout faire éclater. À tel point qu’on a un peu l’impression que Camila Sosa Villada y déploie, avec autant de cruauté que de tendresse, une sorte de poétique de la contradiction.

C’est là où cette histoire d’amour queer, sombre et sans lyrisme, portant les germes tranquilles de la résignation, atteint une dimension universelle.

Histoire d’une domestication

★★★ 1/2

Camila Sosa Villada, traduit par Laura Alcoba, Métailié, Paris, 2024, 222 pages

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