«Jerry Springer: Fights, Camera, Action»: dans les corbeilles de la télé-poubelle

Une scène du documentaire en deux épisodes «Jerry Springer: Fights, Camera, Action»
Photo: Netflix Une scène du documentaire en deux épisodes «Jerry Springer: Fights, Camera, Action»

Fouiller dans les ordures de l’émission la plus emblématique de la télé-poubelle. C’est l’objectif accompli du documentaire en deux épisodes Jerry Springer: Fights, Camera, Action, présenté sur Netflix, y compris en version doublée ou sous-titrée en français de France, pour augmenter le plaisir coupable…

Les États-Unis sont capables du meilleur et du pire, on le sait. Alors en même temps que le voyage sur la Lune, Google, le Super Bowl, le jazz ou Taylor Swift, la civilisation américaine a aussi accouché du second amendement de sa constitution, de la ségrégation, de Donald Trump et de la télé-poubelle. The Jerry Springer Show a d’ailleurs été désignée comme la pire émission de tous les temps par le TV Guide.

La production a tenu les ondes pendant presque 30 saisons, de l’automne 1991 à l’été 2018, cumulant 3891 épisodes. C’est de cette aventure ahurissante que traitent les deux heures du documentaire tout entier, organisé autour d’entrevues avec des artisans de la quotidienne, sauf le principal intéressé, l’animateur, décédé en 2023.

Rien ne destinait Gerald (dit Jerry) Springer, né en 1944, à Londres, sous les bombes allemandes, à devenir le roi de la bouette en ondes. Diplômé en droit, militant démocrate engagé dans les années 1960, il devient maire de Cincinnati (1977-1978), ne parvient pas à devenir le candidat démocrate au poste de gouverneur de l’Ohio, puis amorce une carrière de journaliste politique respecté. Il reçoit une dizaine de prix Emmy régionaux pour son travail de chef d’antenne.

Son émission, qui porte son nom, se concentre d’abord sur l’actualité et discute de sujets comme le contrôle des armes à feu ou l’itinérance. La bascule vers le sensationnalisme extrême, de plus en plus vulgaire et outrancier, se fait après l’arrivée d’un nouveau producteur, Richard Dominick, ancien « reporter » des tabloïds Sun et Weekly World News.

Le pire, le mieux

M. Dominick est l’un des piliers du documentaire, dans lequel il se révèle franc et sans remords. Selon lui, les gens ont besoin de divertissement — et le plus sensationnel, le mieux. « Je dois me lever, j’ai mal au dos, j’ai des factures à payer. Et puis, je lis qu’Elvis a été enlevé par des extraterrestres ? Je veux tout savoir », dit-il pour expliquer son travail dans les tabloïds à manchettes farfelues et imaginaires.

La même logique va prévaloir sur les ondes. Le Jerry Springer Show appartient d’ailleurs à un sous-genre du talk-show tabloïd — dans son cas, la télé jaune, disons — , où un animateur vedette reçoit des célébrités ou anime un plateau autour de sujets plus ou moins controversés et personnalisés. Oprah Winfrey a dominé le créneau de fin d’après-midi et est devenue milliardaire en maîtrisant et en ennoblissant le genre, qui a essaimé mondialement. Ici, Claire Lamarche incarnait cette tendance respectable.

Springer, comme Geraldo ou Richard Bey ont plutôt exploité le filon de la controverse extrême, souvent incarné par des rencontres arrangées entre des ennemis : des néonazis et des juifs, des homosexuels et des homophobes, et, surtout, surtout, une infinité de variantes autour des relations personnelles et du triangle amoureux.

Les entrevues avec d’anciens recherchistes permettent de comprendre comment il a été possible de convaincre des gens de participer à ces plateaux où le summum de la réussite télévisuelle menait à une bataille à coups rabattus entre les protagonistes. Les confidences et réflexions d’Annette Grundy et de Tobias Yoshimura dévoilent les dessous de ce travail salissant pour le moral.

Un meurtre

Deux cas extrêmes occupent une part importante du portrait de groupe avec vidanges. Le premier implique une relation entre un poney et un homme, qui va outrer le reste des médias, mais faire exploser les cotes d’écoute et permettre au Jerry Springer Show d’enfin détrôner Oprah Winfrey au sommet des palmarès. Le deuxième cas, tragique à l’extrême, va déboucher sur le meurtre d’une des participantes prise dans l’un de ces triangles amoureux.

Le fils de la victime livre un témoignage bouleversant : la production ne s’est jamais excusée, et M. Dominick avoue qu’il aurait montré un meurtre en direct s’il avait pu.

« C’était un talk-show, oui, mais les invités parlaient très peu. Ils se criaient dessus et ils se battaient. On avait l’impression d’assister à un combat de gladiateurs devant un public qui ne voulait qu’une chose, voire du sang », résume le critique des médias Robert Feder, qui a couvert l’émission comme journaliste des tabloïds de Chicago, où était tournée l’émission.

Finalement, M. Feder et d’autres tentent brièvement de lier l’émission à une dérive malsaine de la société hypermédiatisée, tendance qui se poursuit. « Avec le Jerry Springer Show, la télé a touché le fond, dit-il. Jerry Springer est mort très riche et a perverti le rêve américain. Ça a marqué le début d’une nouvelle époque — et c’est celle où l’on vit actuellement, où la télévision se permet les pires horreurs et où les candidats de la téléréalité n’ont aucune limite. »

Jerry Springer: Fights, Camera, Action

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