«Nova Express»: renaître du chaos

Jeudi soir avait lieu la première de Nova Express, première pièce de groupe du chorégraphe Alejandro Sajgalik, à Tangente. À travers ses six interprètes, le créateur s’imagine un monde postapocalyptique où un orgue démantelé sert à la fois de radeau, de nouvelle peau et évoque aussi le passé, avec nostalgie. Une proposition artistique qui s’étire en longueur, mais qui est heureusement magnifiée par une belle esthétique.
Ça y est. La fin du monde a frappé. L’épaisse fumée prend l’espace et laisse apparaitre petit à petit les six interprètes, alors échoués sur de massives pièces d’orgues. La lumière tamisée condense la scène et attire notre regard sur ce Radeau de la Méduse réinventé. Que va-t-il se passer après cette apocalypse ?

Assez rapidement, nos naufragés reprennent leur esprit et s’inspirent de ce qui les entoure, en soufflant dans les tuyaux d’orgue, en s’accotant sur les morceaux de l’instrument détruit. Leurs corps, empreints de choc, se désarticulent alors au contact de ces restes du passé. Les fragments de bois deviennent des cannes, ou encore le prolongement de certains membres. Ils transforment les interprètes, qui prennent vie sous de nouvelles formes, dans ce nouveau monde où tout est à construire. En toute vulnérabilité, ils explorent leur nouvelle réalité, et cherchent à garder l’équilibre, au sens propre comme au figuré, sur les derniers espaces qu’il reste. Et cette stabilité n’est toujours qu’éphémère.
Bien que le chaos soit omniprésent, tant dans l’espace que dans les corps, Nova Express dépeint aussi une belle part d’humanité. En effet, ils sont six à avoir survécu et ils s’entraident dans ce grand vide. Ensemble, et avec les éléments qui les entourent, ils tentent de créer de nouvelles structures, d’avancer plus loin avec leurs nouveaux corps, mi-humain, mi-instrument. Ensemble, ils deviennent créatures. Et toute la chorégraphie et la composition corporelle avec les divers matériaux sont très intéressantes à suivre. L’utilisation isolée de certains accessoires, comme une corde rouge, ou encore un ventilateur, n’apporte cependant rien à la pièce. Ils sont de trop, ajoutés pour en faire davantage, mais provoquent l’inverse. Ils ne font que questionner le regard, l’intention en arrière et/ou la symbolique qu’on a voulu y accorder. Bref, ils nous font décrocher de l’essentiel, à savoir la survie de ces rescapés et leur ingéniosité à créer avec ce radeau-orgue démantelé.
Scénographie soignée
En plus de l’amoncellement de débris, les personnages se laissent aussi porter par les sonorités électroacoustiques créées à partir des objets qui définissent désormais ce nouvel univers. Bruits ambiants désorganisés, grésillement, derniers souffles du vivant, silence plombant, sons mélancoliques… Bien qu’elle soit parfois difficile à l’oreille, l’ambiance sonore varie au fil de la pièce, et teinte habilement l’interprétation des survivants.
Les dynamiques entre chacun de nos personnages façonnent aussi leur gestuelle, leurs états de corps. Ensemble, ils sont parfois plus forts, ou au contraire, tombent en désespoir l’un sur l’autre. Il est aussi parfois question de vouloir gagner sa place, de s’imposer face à l’autre, avec force si nécessaire. Des éléments pertinents qui ramènent une once d’humanité dans cette catastrophe totale, mais qui auraient pu être encore plus développés, plus poussés.

Enfin, le dernier élément qui magnifie entièrement l’oeuvre et qui est à souligner est la lumière. En effet, elle a été élaborée de façon très soignée pour chaque tableau et amène la plupart du temps une tendresse et une poésie qui adoucit le propos de la pièce. Parfois, elle découpe l’espace en diverses sections et nous permet d’imaginer un univers qui dépasse le simple espace scénique. La lumière crée des tranchées, illumine les visages ou les cache, façonne les ombres de ces nouveaux humains.
Dans cette réalité postcataclysmique, les personnages vivent surtout leur désespoir à travers leur corps, et jouent moins sur la théâtralité, le drame. À travers des spasmes, des gestuelles déstructurées, incohérentes, ils incarnent la détresse et la tristesse, mais s’accordent aussi de succincts moments de calme, de réenchantement de l’être vivant. Malgré le chaos, ils nous touchent par cette éphémère tendresse, et nous fascinent par leur maîtrise corporelle dans des états de corps fragiles, convulsés, traumatisés.
Malgré quelques longueurs et éléments perturbateurs, Nova Express est une belle recherche sur un postmonde qui questionne la place du l’humain et sa capacité d’adaptation. Grâce à une scénographie raffinée et des interprètes de talents, on plonge dans la faiblesse de l’humain face au monde, mais aussi la force de celui-ci lorsqu’il s’unit et qu’il crée. Car malgré l’apparente lourdeur du propos, Nova Express porte aussi en son coeur de l’espoir et une vision optimiste dans un avenir incertain.