«The Gorge»: des créatures et de la guimauve

L’Américain Levi et la Russe Drasa, de redoutables tireurs d’élite, font le guet l’un en face de l’autre, chacun dans sa tour. Séparés par une immense gorge, les deux agents devraient se regarder en chiens de faïence, mais l’isolement a plutôt pour effet de créer un rapprochement. D’autant que ni l’un ni l’autre ne connaît l’exacte teneur de sa mission, sinon que celle-ci implique de ne « rien laisser sortir » de l’abîme rocheux. Or, comme Levi et Drasa le découvriront, les créatures qui se tapissent sous la nappe de brume en contrebas n’ont nulle intention de rester au fond de la dépression. Divertissant mais inégal, The Gorge (La gorge) met en vedette Miles Teller et Anya Taylor-Joy.
Les vedettes de Whiplash et de Top Gun : Maverick, pour le premier, et de The Witch (La sorcière) et de The Menu (Le menu), pour la deuxième, ont surtout l’occasion de briller durant la première partie du film, presque dénuée de dialogues (passé le prologue). Communiquant par écrit, au moyen de longues-vues et de viseurs de fusils, Levi et Drasa développent un lien spontané qui vire rapidement à la romance à distance.
Aussi précipité qu’invraisemblable, ce volet du film devient crédible grâce au pouvoir de persuasion des deux talentueux interprètes. Pour le compte, la conviction et les nuances qu’insufflent Teller et Taylor-Joy à leurs compositions sauvent souvent des situations écrites de façon boiteuse par Zach Dean, scénariste des oubliables Deadfall (Chute mortelle) et The Tomorrow War (La guerre de demain).
C’est particulièrement vrai en seconde partie, campée celle-là dans la gorge du titre. À la marque d’une heure vingt minutes, environ, on a droit à une laborieuse série de répliques explicitant ce qui se trouve dans ladite gorge, depuis quand et pour quelles raisons. Après la belle économie de mots qui a précédé, qualité inhabituelle pour une production hollywoodienne de ce type, tout ce verbiage fait grincer des dents.
Heureusement, à la mise en scène, Scott Derrickson maintient mouvement et dynamisme. Un habitué de la chose, le réalisateur de Deliver Us from Evil (Délivrez-nous du mal), de The Exorcism of Emily Rose (L’exorcisme d’Emily Rose) et du remake de The Day the Earth Stood Still (Le jour où la terre s’arrêta), aborde les éléments d’action, de science-fiction et d’horreur avec la même approche : musclée et cinétique.
Et comme on ne s’ennuie pas, on est moins enclin à relever les faiblesses et les clichés dont le scénario est truffé.
Entre Lovecraft et Carpenter
Visuellement, le film est très réussi. Après le dépouillement initial, présentant des tours brutalistes (c’est dans l’air du temps) érigées durant la guerre froide et cette vaste forêt de résineux dressés vers des cieux perpétuellement gris, vient l’univers purulent, aux coloris souffre et mauve, qui se déploie au fond de la gorge.
Ici, Derrickson s’est manifestement amusé, convoquant les influences de l’écrivain H.P. Lovecraft et des films The Thing (La chose), de John Carpenter, et Invasion of the Body Snatchers (L’invasion des profanateurs de sépultures), de Philip Kaufman. À ce propos, le bestiaire à la fois organique et végétal bénéficie d’effets spéciaux d’excellente tenue.
Mais bref, si le contraste entre la portion quasi muette et la portion surexplicative agace, l’opposition stylistique entre ce qui se trouve « en haut » et ce qui grouille « en bas », fonctionne en revanche à merveille. Hélas, à l’issue d’un dénouement explosif, The Gorge se clôt sur une note sentimentale qui, loin d’élever le film, le tire vers le bas — sans mauvais jeux de mots.