Centre canadien d’architecture: sur les ruines du monde, déjà nous vivons…

Rassemblement pour HouseEurope! à l’aéroport de Tempelhof à Berlin. Image tirée du film documentaire «Bâtir des lois»
Photo: Francesco Garutti et Joshua Frank Rassemblement pour HouseEurope! à l’aéroport de Tempelhof à Berlin. Image tirée du film documentaire «Bâtir des lois»

Comment faire de l’architecture autrement ?

Voilà la question posée par le Centre canadien d’architecture (CCA) dans une série de trois expositions, série intitulée Sur le terrain, commencée en mai dernier, et dont voici le très attendu deuxième volet. Cette problématique est bien sûr abordée dans un contexte de crise écologique, de surconsommation, de gaspillage des matières premières, mais aussi de postmodernité où l’architecte contemporain semble vouloir dialoguer — intelligemment ? — avec le patrimoine.

Après une première expo sur les interventions de l’architecte Xu Tiantian dans le paysage de l’île de Meizhou, le commissaire Francesco Garutti poursuit sa réflexion avec une présentation du studio bplus.xyz (b+) créé à Berlin en 2022 par Arno Brandlhuber.

Comme l’explique leur site Internet, « b+ est un cabinet d’architecture spécialisé dans la réutilisation de bâtiments et de quartiers existants pour préserver leurs valeurs sociales, écologiques et culturelles ». Une vision du dialogue de l’architecture avec le passé qui dépasse le cliché pittoresque dans lequel est souvent réduit le patrimoine auprès d’un large public et même de bien des décideurs…

Dans cette exposition, vous pourrez entre autres voir le projet de réhabilitation à Berlin des deux tours de l’ancien VEB Elektrokohle Lichtenberg, usine datant de l’époque de la République démocratique allemande, ruines situées sur un site contaminé. Ces tours ne sont pas que des ruines, elles sont aussi et surtout « les vestiges d’une idée passée du futur ». En 2012, l’une d’entre elles, qui était un silo à charbon, fut donc transformée en bureaux, ateliers et centre d’archives. Ce projet a révélé la beauté des restes d’une Modernité, ces tours pouvant évoquer tout de même celles présentes dans l’histoire de l’architecture italienne du Moyen Âge, à Bologne, Florence, Pérouse, Pavie ou San Gimignano…

Cette présentation vous permettra aussi de comprendre le projet de réhabilitation du Mäusebunker à Berlin en 2022, bâtiment brutaliste, conçu pour des laboratoires animaliers, qui fut à la source d’une action plus importante de conscientisation quant au gaspillage de matériaux qu’incarne la destruction de bâtiments anciens…

HouseEurope.eu

Ce projet permit de pousser plus loin le concept d’architecture engagée, idée qui se doit d’incarner plus que de beaux projets sporadiques. Elle doit passer par une révision de lois et de règlements architecturaux ainsi qu’urbanistiques. Il faut tenter de rejoindre un public en dehors de la caisse de résonance du milieu de l’architecture. Voilà une nécessité absolue alors que la crise du logement s’accentue en Europe, mais aussi ici, en Amérique — et ce, avec la complicité de l’aveuglement de nos politiciens qui blâment facilement les émigrants ou les étudiants, et pas du tout leur propre manque d’action et de vision. Cette exposition aborde donc la question de la constitution d’une loi européenne voulant instaurer un « droit à la réutilisation », qui favorisera entre autres des réductions fiscales dans un marché soumis à d’énormes pressions de la spéculation financière… Pour que cette loi puisse passer, le collectif devra réunir un million de signatures durant l’année 2025 !

Cette expo, comme la précédente, comporte, en son cœur, un documentaire réalisé par Joshua Frank. Ce film, d’une cinquantaine de minutes, permettra en dehors du cadre de cette expo de faire rayonner cette vision de l’architecture, mais aussi le CCA, lieu fabuleux, malheureusement sous-fréquenté par le public montréalais.

Cette présentation, comme un manifeste, est une prise de position architecturale difficile à faire entendre dans une société où politiciens, décideurs, architectes veulent avant tout laisser une trace pharaonique de leur passage sur cette terre. Une position qui demande une grande humilité, une conscience de la nécessité d’un effacement de l’individu en faveur du bien collectif, une transformation du geste architectural en travail de passeurs…

Pour compléter votre réflexion sur le sujet, il faudra lire, sur le site du CCA, l’entrevue donnée par Arno Brandlhuber et Olaf Grawert à Federica Zambeletti.

Bâtir les lois

Commissaire : Francesco Garutti. Au Centre canadien d’architecture, jusqu’au 25 mai 2025.

Arthur Erickson

Il est moins connu dans l’est du Canada qu’il ne l’est en Colombie-Britannique. Il faut dire qu’il y a réalisé de nombreux bâtiments emblématiques comme le Musée d’anthropologie, et la rénovation de la Vancouver Art Gallery… Arthur Erickson (1924-2009) a aussi conçu le pavillon canadien pour l’exposition universelle de Tokyo, en 1965.

Cet architecte réputé fait l’objet d’une petite expo dans la salle octogonale du CCA portant sur ces voyages effectués en Europe, en Afrique du Nord et en Asie dans les années 1950 et 1960. L’homme, qui a fait ses études à l’Université McGill, défendit l’importance de l’architecture comme expérience de l’espace et du site où un bâtiment est implanté, à une époque où cette idée était moins répandue.

Erickson documenta ces voyages par des notes et surtout de nombreuses photos exposées dans cette présentation. Le visiteur y verra entre autres une lecture de l’architecture japonaise comme parcours et comme narration, ce qui inspira en particulier Erickson dans ses créations.

Notes de site. La photographie dans les premiers carnets de voyage d’Arthur Erickson

Commissaire : David Covo. Au Centre canadien d’architecture, jusqu’au 16 mars.

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