D’une crise à l’autre

En demandant au premier ministre Legault de mettre sur pied une « Équipe Québec » incluant tous les partis représentés à l’Assemblée nationale pour s’opposer aux projets menaçants de Donald Trump, Paul St-Pierre Plamondon a soutenu qu’ils n’ont « pas d’intérêts politiques contradictoires » quand l’avenir économique du Québec est en jeu.

Bien entendu, ils souhaitent tous qu’il traverse cette période de turbulence avec un minimum de dommages, mais il est dans la nature de la politique de chercher aussi à profiter d’une situation pour marquer des points. Cela est aussi vrai à Québec qu’à Ottawa que n’importe où ailleurs dans le monde.

M. Legault a lui-même établi un parallèle entre la « crise Trump » et la « crise COVID » qui l’a si bien servi. La comparaison a évidemment ses limites. Si la « crise Trump » est anxiogène pour plusieurs, elle n’affectera sans doute pas la santé mentale au même degré que le confinement. Les commerces vont demeurer ouverts, les hôpitaux ne déborderont pas plus qu’à l’habitude et personne ne sera tenu de porter un masque.

Les imprécations du président américain et les mesures qu’il pourrait prendre au cours des prochaines semaines risquent néanmoins d’occuper une grande partie de l’espace médiatique et de monopoliser l’attention de la population pendant un bon moment.

La démocratie parlementaire ne sera pas mise « sur pause », de sorte que le gouvernement ne réussira pas à marginaliser l’opposition comme il l’a fait il y a cinq ans, mais il ne fait aucun doute qu’il cherchera à profiter de cette occasion au maximum durant la session qui reprendra mardi à l’Assemblée nationale, ne serait-ce que pour détourner l’attention d’un bilan peu reluisant.

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Les périodes de crise placent toujours l’opposition dans une position délicate : comment critiquer l’action du gouvernement, comme cela est son rôle, sans donner pour autant l’impression de manquer de solidarité et de faire passer l’intérêt public après le sien ?

Une étude publiée en 2023 dans la revue spécialisée Journal of Legislative Studies constatait que sa capacité de surveillance avait été « clairement sapée » durant les premiers mois de la pandémie, alors que les déclarations faites quotidiennement par le premier ministre et le directeur national de santé publique, le Dr Horacio Arruda, étaient presque considérées comme des paroles d’évangile.

En entrevue avec les chercheurs, des députés d’opposition avaient expliqué que leurs électeurs n’acceptaient pas qu’ils fassent des reproches au gouvernement et qu’ils avaient dû changer de ton. Les auteurs de l’étude avaient calculé que pendant la période où l’Assemblée nationale avait pu siéger, les partis d’opposition avaient formulé sept fois plus de propositions que de critiques par rapport à la période prépandémique.

Même cette approche constructive comportait des risques, avait constaté Paul St-Pierre Plamondon. « Le simple fait de formuler des propositions menait rapidement à des accusations d’être contre la science, d’être contre la solidarité des Québécois. Et ces accusations sont venues du premier ministre lui-même à plusieurs reprises. »

Dans ce climat tendu, il était facile pour le gouvernement « d’associer au complotisme toute question ou toute critique légitime, ce qui rendait la tâche des oppositions très difficile », avait aussi remarqué le chef du Parti québécois.

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Plus la menace trumpiste va se préciser, plus la population va avoir le réflexe de chercher une protection que M. Legault a promis d’assurer « coûte que coûte ». Cette fois encore, la critique risque donc d’être jugée sévèrement. Il n’est pas étonnant que M. St-Pierre Plamondon réfute le parallèle avec la pandémie.

La population aura du mal à comprendre pourquoi il reproche au gouvernement d’envisager dès maintenant la création de nouveaux programmes d’aide aux entreprises et un report du retour à l’équilibre budgétaire. Tout le monde souhaite que M. Trump se ravise, mais le devoir du gouvernement n’est-il pas de prendre toutes les précautions nécessaires, au cas où ? En cas de malheur, le chef péquiste sera le premier à l’accuser de négligence s’il ne l’a pas fait.

Être constructif n’est pas un réflexe naturel pour l’opposition, mais elle gagne rarement à jouer les prophètes de malheur. En quoi laisser entendre que les services de santé pourraient faire les frais de l’opération de sauvetage des entreprises fait-il avancer les choses ? D’ailleurs, s’il faut choisir entre les deux, comment reprocher au gouvernement de songer à reporter le retour à un budget équilibré ?

Il est certainement frustrant de voir ce coup du sort permettre à François Legault de sortir des câbles auxquels il semble acculé, mais donner l’impression de chercher à saboter ses efforts ne peut que le servir.

Ce texte fait partie de notre section Opinion, qui favorise une pluralité des voix et des idées. Il s’agit d’une chronique et, à ce titre, elle reflète les valeurs et la position de son auteur et pas nécessairement celles du Devoir.

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