Courir dans l’ombre
Le Parti libéral du Québec (PLQ) joue décidément de malchance avec ses courses à la chefferie. Au printemps 2020, il avait décidé de la suspendre en raison de la pandémie. En fin de compte, il n’y en a pas eu, et Dominique Anglade a été couronnée.
Cette fois-ci, on l’a retardée le plus possible pour éviter que le député de Marguerite-Bourgeoys, Fred Beauchemin, soit à son tour élu par acclamation. Cette décision semblait sage à l’époque. Cela a donné à M. Beauchemin le temps de comprendre que sa candidature ne soulevait aucun enthousiasme, et d’autres ont fini par se porter volontaires.
C’était sans compter le hasard, qui ne fait pas toujours bien les choses. Si les libéraux avaient voulu que leur course passe inaperçue, ils n’auraient pas pu choisir un meilleur moment pour la lancer. Même Jean Chrétien, 91 ans, a réussi à leur voler la vedette !
Contrairement à la bousculade au Parti libéral du Canada (PLC), que la démission tardive de Justin Trudeau force à choisir un nouveau chef dans la précipitation, la course au PLQ s’étirera jusqu’à la mi-juin.
Les candidats ont jusqu’au 11 avril pour s’inscrire officiellement. À cette date, non seulement la course au PLC sera terminée depuis des semaines, mais le Canada se retrouvera au beau milieu d’une campagne électorale.
Entretemps, les dangereuses pitreries de Donald Trump continueront de défrayer la chronique et de faire trembler ou enrager tout le monde. Dans un tel fracas, qui se soucie de ce pauvre PLQ ? Ses propres militants, qu’il partage souvent avec le PLC, auront fort à faire pour sauver ce qui peut l’être de l’hécatombe qui s’annonce au fédéral, où les libéraux risquent de tomber au troisième rang — même au Québec —, derrière le Bloc québécois et les conservateurs de Pierre Poilievre.
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Le proverbial « débat d’idées » que doit permettre une course à la chefferie ne tient pas toujours ses promesses, mais le PLQ aurait plus que jamais besoin de tonus et d’attention.
Il faut bien le dire : depuis la dernière élection, il laisse la grande majorité des Québécois parfaitement indifférents. L’annonce du départ de celle qui était de loin la plus populaire du parti, Marwah Rizqy, lui a enlevé le peu de saveur qui lui restait.
Le favori des sondages, Pablo Rodriguez, n’en finit plus de plaider sa québécitude. Il a beau avoir fait ses premiers pas en politique au PLQ, il reste irrémédiablement marqué dans l’opinion publique par son long séjour à Ottawa et son rôle de lieutenant politique québécois de Justin Trudeau.
Il est loin d’être certain que les Québécois choisiront un jour l’indépendance, mais ils n’accepteront jamais que le Québec soit simplement « une province comme les autres ». Et M. Rodriguez a œuvré pendant 20 ans au sein d’un parti qui le traite de cette façon, qu’il n’a pas non plus réussi à convaincre d’agir autrement — si tant est qu’il ait réellement essayé.
En matière de français ou de laïcité, la CAQ a établi une sorte de plancher. On a du mal à voir un défenseur de ces valeurs dans cet ancien ministre du Patrimoine canadien, dont le bilinguisme et le multiculturalisme sont les pierres d’assise. Il est toutefois vrai que ce sont aussi les valeurs de nombreux militants libéraux.
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Cette course dans l’ombre devrait en principe avantager les candidats qui sont déjà les mieux connus, même si on peut se demander si ce sera bien le cas de Denis Coderre, qui traîne son passé comme un bouquet de casseroles.
La notoriété a d’ailleurs ses limites. En 2020, même s’il en était à sa deuxième tentative, Paul St-Pierre Plamondon était bien moins connu que l’humoriste Guy Nantel et le député de Jonquière, Sylvain Gaudreault, qui était largement favori au départ. Cela ne l’a pas empêché d’être élu chef du Parti québécois au troisième tour, au terme d’une course interrompue elle aussi par la pandémie.
À l’époque, pratiquement personne ne lui prédisait un quelconque avenir. Le PQ ne comptait plus que trois députés et les chances de PSPP de faire son entrée à l’Assemblée nationale semblaient bien minces. On connaît la suite.
L’ex-président de la Fédération des chambres de commerce du Québec, Charles Milliard, part de plus loin. À la fin novembre, un sondage Léger le situait au quatrième rang dans la course à la chefferie du PLQ, avec l’appui de seulement 4 % des électeurs libéraux, à égalité avec l’avocat Marc Bélanger, loin derrière Pablo Rodriguez (28 %) et Denis Coderre (13 %). Les choses n’ont sans doute pas changé beaucoup depuis.
S’il est vrai que, plus de deux ans après le départ de Dominique Anglade, une course de cinq mois semblera bien longue (et sans grand intérêt aux yeux de plusieurs), au moment où le pays est en pleine ébullition, M. Milliard pourrait au contraire la trouver trop courte.
Une version précédente de ce texte, qui indiquait que Karl Bélanger fait partie des candidats dans la course à la chefferie du PLQ, a été modifiée. Il s’agit bien de Marc Bélanger.
Ce texte fait partie de notre section Opinion, qui favorise une pluralité des voix et des idées. Il s’agit d’une chronique et, à ce titre, elle reflète les valeurs et la position de son auteur et pas nécessairement celles du Devoir.