Coupes budgétaires aux États-Unis, catastrophe humanitaire en Afrique

Photo: Carmen Yasmine Abd Ali The Washington Post Dans le camp de réfugiés de Mbera, en Mauritanie, où vivent plus de 100 000 personnes ayant fui la crise au Mali voisin, les États-Unis fournissent environ 30% du financement, estime le coordinateur Mohamed Ag Malhad.

Les soupes populaires ne peuvent plus nourrir les affamés. Les secours sont incapables d’atteindre les morts et les blessés. Les mères et les pères cherchent en vain les médicaments qui les maintiennent en vie.

Dans toute l’Afrique, des villes soudanaises bombardées aux cliniques kényanes en passant par les camps de réfugiés mauritaniens, les politiques du gouvernement Trump ont déjà des conséquences profondes pour certaines des personnes les plus vulnérables du monde.

La décision du président d’annuler ou de suspendre des versements de milliards de dollars en aide étrangère — assortie d’exemptions mal définies — aggrave les crises humanitaires et met en danger un nombre incalculable de vies, selon les travailleurs humanitaires de première ligne et les civils qui dépendent des programmes financés par les États-Unis.

La semaine dernière, des milliers d’ordres d’arrêt de travail ont été envoyés aux employés et aux sous-traitants de l’Agence des États-Unis pour le développement international (USAID), qui est depuis longtemps le principal vecteur de l’aide mondiale de Washington. L’année dernière, l’USAID a dépensé 40 milliards de dollars sur les 68 milliards alloués par les États-Unis aux programmes d’aide à l’étranger, ce qui fait d’elle le plus grand donateur au monde, fournissant de la nourriture, des soins de santé et de l’eau potable à des dizaines de millions de personnes. Au cours des cinq dernières années, les pays d’Afrique subsaharienne ont représenté plus d’un tiers des dépenses d’aide étrangère des États-Unis.

« Nous avons passé le week-end à mettre l’USAID dans la déchiqueteuse » , s’est vanté lundi sur X le milliardaire Elon Musk, que M. Trump a chargé d’un nouveau bureau pseudo-gouvernemental chargé de réduire le gaspillage. Qualifiant l’agence d’« opération de propagande de gauche radicale » et d’« organisation criminelle », M. Musk a déclaré qu’il était « temps qu’elle meure ».

Plus tard dans la journée, le secrétaire d’État, Marco Rubio, a dévoilé des plans de restructuration et de suppression potentielle de l’USAID, citant « des systèmes et des processus [qui] … entraînent souvent des discordes dans la politique étrangère et les relations extérieures des États-Unis ».

Traditionnellement, l’USAID a bénéficié d’un fort soutien bipartisan à Washington. Ses défenseurs affirment qu’en plus de sauver des vies, elle contribue à stabiliser certaines des régions les plus pauvres et les plus instables du monde, tout en agissant comme un rempart contre l’influence de la Russie et de la Chine.

« Nous sommes la nation la plus riche de l’histoire des nations », a déclaré mardi un haut fonctionnaire du gouvernement américain au Washington Post, sous couvert d’anonymat car il n’était pas autorisé à parler à la presse. « Malgré la possibilité d’exemptions de programmes individuels, des dizaines de millions de personnes, rien qu’en Afrique de l’Est, ne reçoivent aucune aide humanitaire aujourd’hui. »

« Et après ? Qu’allons-nous faire ? »

Dans les endroits les plus désespérés, comme le Soudan ravagé par la guerre, les conséquences ont été immédiates. La moitié des 50 millions d’habitants ont besoin d’une aide alimentaire et la famine s’étend, pendant que les milices islamistes et leurs alliés militaires se battent contre une organisation paramilitaire accusée de génocide par Washington. La suspension de l’USAID a entraîné l’arrêt des programmes alimentaires nationaux desservant des millions de personnes et la fermeture de centaines de cuisines communautaires qui sont présentes dans des zones trop dangereuses pour que les grandes agences puissent y pénétrer.

Un travailleur humanitaire au Soudan, qui, comme d’autres, parle sous le couvert de l’anonymat pour éviter des représailles contre son employeur, explique que son organisation a reçu un ordre d’arrêt de travail pour des subventions représentant des centaines de millions de dollars.

« Cela signifie que plus de huit millions de personnes en situation de famine extrême pourraient mourir de faim, ajoute-t-il. Et après ? Qu’allons-nous faire ? »

Dans la capitale assiégée de Khartoum, plus des deux tiers des soupes populaires ont fermé durant la dernière semaine, dit Hajooj Kuka, qui s’occupe des communications externes pour les unités d’intervention d’urgence gérées par des civils au Soudan. « En une nuit, ce fut le black-out total. Les gens sont de toute façon au bord de la famine… ils ne peuvent pas tenir trois jours ou une semaine sans nourriture. » M. Kuka a indiqué que la plupart des familles qu’ils servent vivent avec un seul repas par jour.

Photo: Adrienne Surprenant Archives Item Collective The Washington Post Des sacs de pois jaunes et des cannes d’huile végétale financés par l’USAID attendent d’être distribués à Bentiu, au Soudan du Sud, en 2021.

L’USAID a également fourni des fonds de sécurité à des cellules de manifestants prodémocratie qui se sont efforcées d’atténuer les souffrances de la guerre civile. Plus de 60 de leurs bénévoles ont été tués depuis que le conflit a éclaté il y a près de deux ans, et les jeunes gens qui acheminent la nourriture et les médicaments sur les lignes de front sont souvent arrêtés et maltraités par les combattants des deux camps, qui les soupçonnent d’être des espions.

Selon M. Kuka, un bénévole est traqué par une milice et un autre a récemment été torturé pour lui faire révéler ses déplacements. Normalement, dit-il, les fonds de l’USAID pourraient l’aider à s’échapper ; aujourd’hui, son groupe essaie de le déplacer d’un refuge à l’autre au fur et à mesure que les milices avancent.

« Nous faisons nos adieux », écrit-il, suivi d’un émoji au cœur brisé.

Un rapport interne préparé par des groupes d’aide fournissant des services de santé au Soudan, et communiqué au Washington Post, indique que plus de la moitié des 10 millions de personnes ciblées pour recevoir des soins de santé n’y auront probablement plus accès en raison des coupes budgétaires. Un groupe médical qui a traité plus de 19 000 civils (principalement des femmes) au cours des deux derniers mois au Darfour a déclaré qu’il ne pouvait plus offrir de services sans autre financement. « Il n’y a pas eu de transition, juste un arrêt brutal », dit un employé.

Un employé d’un autre groupe d’aide médicale a raconté avoir reçu samedi un appel désespéré de responsables de la santé à Omdurman, au nord-ouest de la capitale du Soudan, Khartoum, les suppliant d’envoyer une ambulance à un marché qui venait d’être bombardé.

« Malheureusement, je leur ai dit que l’ambulance n’était plus disponible en raison de la suspension ; il s’agissait d’un véhicule loué et le propriétaire l’avait repris », raconte l’auxiliaire médical. Selon les autorités locales, l’attentat a fait au moins 54 morts et 158 blessés.

L’organisation médicale explique que ses ordres de suspension s’appliquent également aux vaccinations, aux soins prénataux pour les mères, aux accouchements et au traitement du paludisme dans les pays d’Afrique de l’Est. La semaine dernière, après que M. Rubio a accordé une dérogation aux programmes qui fournissent une « assistance humanitaire vitale », le groupe médical a déclaré qu’il était autorisé à poursuivre certaines parties de son travail dans un pays africain, mais que des programmes similaires dans d’autres endroits étaient toujours suspendus, ce qui aggrave la confusion sur la question de savoir s’ils sont autorisés à agir et comment.

« Notre travail consiste à sauver des vies », dit une autre employée de l’organisation. S’il s’arrête, ajoute-t-elle, « des gens mourront certainement ».

Un moment critique

La crise du financement coïncide avec des bouleversements mondiaux de grande ampleur. L’Afrique compte plus de personnes que jamais souffrant de la faim, et le continent — où l’âge médian est de 19 ans — connaît des conflits plus étendus que jamais depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale.

Photo: Carmen Yasmine Abd Ali The Washington Post Mohamed Ag Malhad, coordinateur du camp de réfugiés de Mbera, en Mauritanie

Dans le camp de réfugiés de Mbera, en Mauritanie, où vivent plus de 100 000 personnes ayant fui la crise au Mali voisin, la réduction de l’aide américaine a provoqué « une panique », dit le coordinateur du camp, Mohamed Ag Malhad.

La famille de M. Malhad est arrivée ici en 2012 après avoir fui les extrémistes islamistes au Mali. Il estime que les États-Unis fournissent environ 30 % du financement du camp. Déjà, une école qui accueillait 500 élèves a dû suspendre ses cours. Un programme de psychologues sociaux dans le camp et un autre visant à identifier les réfugiés les plus vulnérables sont en suspens.

« Quels seront les dégâts causés par ce grand vide ? s’interroge M. Malhad. Des dommages en ce qui concerne les moyens de subsistance. Des dommages en matière d’éducation. Des dommages en matière de santé. »

Abdallah Ag Mohamed, qui dirige l’école Hope (Espoir), était en train de s’entraîner le 27 janvier lorsqu’il a reçu un courriel l’informant des coupes budgétaires. Un mois de financement pour l’école ne coûte qu’environ 5300 $, dit-il, mais cela signifie tout pour les élèves. Les enseignants ont continué à travailler sans être payés.

La prévention d’épidémies en jeu

Selon Atul Gawande, ancien responsable de la santé mondiale à l’Agence des États-Unis pour le développement international (USAID), les ordres d’arrêt de travail ont également entravé les efforts visant à endiguer une épidémie hémorragique mortelle à Marburg, en Tanzanie, la propagation d’une variante du virus mpox qui tue des enfants en Afrique de l’Ouest, ainsi que la surveillance d’une dangereuse grippe aviaire qui a été repérée dans 49 pays.

« Les conséquences ne se situent pas dans un avenir lointain. Elles sont immédiates », a-t-il écrit sur X.

Photo: Jahi Chikwendiu The Washington Post Dans le village de Chivanda, au Mozambique, des travailleurs en partie financés par la President’s Malaria Initiative d’USAID s’affairent à éduquer la communauté pour prévenir la maladie.

Après une levée de boucliers bipartisane, M. Rubio a annoncé samedi une dérogation particulière pour permettre la poursuite du financement du PEPFAR, un programme de lutte contre le VIH/sida lancé par l’ancien président George W. Bush, qui a sauvé des millions de vies en Afrique et dont dépendent encore 20 millions de personnes. Malgré l’exemption, de nombreuses initiatives du PEPFAR ont été plongées dans le chaos.

En Afrique du Sud, Anele Yawa, secrétaire général de la campagne Action Traitement, a déclaré que plus de 15 000 personnes qui fournissaient auparavant des tests de dépistage du VIH, des conseils et d’autres programmes de prévention sociale ont été contraintes de cesser brusquement leurs activités, et que nombre d’entre elles ne sont pas revenues. Les livraisons de médicaments antirétroviraux à domicile et la recherche des contacts n’ont plus lieu, a-t-elle ajouté. De nombreuses cliniques qui avaient fermé leurs portes la semaine dernière sont toujours fermées.

Le sénateur républicain Bill Cassidy, de la Louisiane, a déclaré lundi sur X : « On me dit que des médicaments sont encore bloqués dans des cliniques en Afrique. Cela doit être corrigé immédiatement. » Il a qualifié le PEPFAR de « quintessence du soft power ».

Mardi, devant une clinique fermée de Johannesburg, un homme séropositif s’est arrêté sur un scooter. Il devait se présenter à son examen semestriel, au cours duquel son médecin devait normalement lui prescrire sa prochaine série de pilules. Sans ce rendez-vous, il allait manquer de médicaments d’ici deux semaines. Il n’osait pas se rendre dans un hôpital public puisque, en tant qu’étranger, il craint d’être expulsé. Comme d’autres personnes cherchant de l’aide, il a requis l’anonymat pour protéger sa vie privée. « Je vais élaborer un plan », a-t-il dit en remontant sur sa moto.

Au Kenya, une mère de trois enfants a raconté vendredi matin que sa clinique habituelle ne lui avait donné qu’un mois de médicaments antirétroviraux sur les six qu’elle prescrivait habituellement, en raison des inquiétudes suscitées par les pénuries. Le ministre kenyan de la Santé a déclaré que le pays disposait de six mois de médicaments, mais les cliniques ont déjà commencé à rationner les doses.

« Si je meurs, qui s’occupera de mes enfants ? » demande-t-elle. Elle a refait le tour des cliniques lundi et a pu obtenir 30 jours de médicaments supplémentaires.

« Un mois de vie supplémentaire », dit-elle, en faisant rouler les pilules dans sa paume.

Rachel Chason s’est rendue dans le camp de Mbera, en Mauritanie. Avec la collaboration de Tabelo Timse à Johannesburg et de Hafiz Haroun et Rael Ombuor à Nairobi.

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