«Sexualités et dissidences queers», voix unies pour la liberté sexuelle

« Nos sexualités sont traversées par des rapports de pouvoir qui les orientent, en marginalisant certaines pratiques et communautés et en en normalisant d’autres. Ces rapports produisent une hiérarchie sexuelle : c’est ce que nous appelons “l’ordre sexuel normatif”. » Ce sont les mots que Chacha Enriquez a choisi de placer au tout début de son introduction de Sexualités et dissidences queers, le livre collectif que l’universitaire a coordonné et qui paraît ces jours-ci aux Éditions du remue-ménage.
En 2008, Chacha Enriquez quitte la France pour le Québec afin de terminer ses études puis, dès 2015, enseigne la sociologie queer à l’UQAM. « C’est le premier cours au Québec francophone à avoir le mot “queer” dans son titre », explique celui qui est militant queer depuis une vingtaine d’années. « C’est en préparant un autre cours, pour le collégial, que j’ai constaté qu’il y avait très peu d’essais parus au Québec et en français sur les sexualités queers, et encore moins qui sont accessibles, c’est-à-dire dont le ton ne serait pas trop théorique, pas trop scientifique. » Le livre est donc en bonne partie né du désir d’offrir du matériel pédagogique pour mieux comprendre et faire comprendre les sexualités queers. « C’est d’autant plus important, précise Chacha Enriquez, que la plupart des étudiantes et étudiants n’ont pas eu de cours d’éducation à la sexualité, ou alors seulement sous l’angle du danger. »
Ouvrage de référence
Signés par des « dissidents et dissidentes de l’ordre sexuel », c’est-à-dire des personnes qui « résistent aux marginalisations sexuelles par leurs militantismes, leurs pratiques d’éducation à la sexualité ou leur travail universitaire », les quinze chapitres abordent une multitude de sujets. « J’ai moi-même appris beaucoup de choses en préparant le livre, reconnaît Chacha Enriquez. Mon souhait, c’est qu’il devienne un ouvrage de référence, qu’il incite d’autres personnes queers à publier, qu’elles se sentent légitimes de le faire, et qu’il permette à quiconque se pose des questions sur sa sexualité de trouver des outils de compréhension, d’analyse et de réflexion. L’emplacement de chaque chapitre a été pensé, mais on peut tout à fait commencer par le texte qui nous interpelle le plus. »
C’est en préparant un autre cours, pour le collégial, que j’ai constaté qu’il y avait très peu d’essais parus au Québec et en français sur les sexualités queers, et encore moins qui sont accessibles, c’est-à-dire dont le ton ne serait pas trop théorique, pas trop scientifique.
Le volumineux livre réunit vingt et une personnes lesbiennes, gaies, bisexuelles, aromantiques et asexuelles, travailleuses du sexe, séropositives, dans des relations polyamoureuses ou intergénérationnelles, amatrices de BDSM, de pornographie, de pratiques kinky, de cruising ou de chemsex qui réfléchissent à « la libération des pratiques sexuelles et amoureuses » à partir de la sociologie, de la sexologie, du travail social ou d’une perspective de terrain. Marie-Pier Boisvert, Mathilde Capone, Marianne Chbat, Julie Descheneaux, Jorge Flores-Aranda, Blake Gauthier-Sauvé, Marie Geoffroy, Stéphanie Gingras-Dubé, Adore Goldman, Julie Lavigne, Miko Lebel, Hugues Lefebvre Morasse, Sabrina Maiorano, Mélina May, Rossio Motta-Ochoa, Alex Nadeau, Gabrielle Petrucci, Gabrielle Richard, Em Steinkalik et Gui Tardif abordent les bisexualités, le plaisir, la culture du consentement, le sexting, le travail du sexe, le cruising gai, la pornographie, le polyamour, l’éducation à la sexualité, le chemsex, le BDSM et l’asexualité.
Libération sexuelle ?
Alors que nous vivons dans une société qui se dit et se pense libérée sexuellement, l’ouvrage apporte quelques nuances importantes. « La plupart des normes sexuelles agissent avec moins de rigueur qu’avant, commence par reconnaître Chacha Enriquez. Cela dit, en ce qui concerne la sphère publique, comme le travail du sexe, le cruising gai ou le sexting, on remarque une hausse des formes de criminalisation. Chaque fois, les autorités prônent l’abstention plutôt que la réduction des méfaits. On observe aussi une hausse de la mononormativité, de plus en plus d’attaques contre la fluidité des sexualités, des amours et des genres. Il y a là un noeud de régulation que la recherche que nous avons réalisée fait manifestement ressortir. »
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À la suite des mobilisations conservatrices qui se sont organisées dans le monde entier, Chacha Enriquez a choisi d’ajouter à l’ouvrage un chapitre, cosigné avec Gabrielle Richard, sur le « backlash hétérocisnormatif ». « Chez nous, on sent que les élites conservatrices, afin de prendre le pouvoir ou de le garder, cherchent à mobiliser une base électorale autour du renforcement des normes de genre. La création de cette panique morale, c’est bien entendu la démarche de Pierre Poilievre, mais c’est aussi le jeu de la CAQ et du PQ, pour qui la prochaine élection va se jouer à qui sera le plus transphobe. Tout cela a pour objectif de produire de l’animosité contre les personnes trans et à faire taire les communautés LGBTQ+. Alors qu’on est en pleine crise économique, écologique et du logement, Bernard Drainville s’attaque aux toilettes mixtes dans les écoles. Voilà un parfait exemple de détournement d’attention. »
En ce qui concerne le genre, Chacha Enriquez accueille l’incompréhension d’une partie de la population : « C’est normal que des gens se sentent inquiets, confus, qu’ils se posent des questions, mais ça ne justifie en rien l’hostilité, l’intimidation et la violence. Ce que le livre, qui est lui-même le fruit d’une concertation entre dissidents et dissidentes sexuelles, pourrait accomplir de plus important, c’est jeter des ponts entre les communautés. » À ce sujet, Chacha Enriquez écrit dans son introduction que « nous souhaitons créer un espace de dialogue, afin de pouvoir renforcer l’exploration et l’affirmation de nos plaisirs, de nos désirs et de nos limites. Et nous espérons que cette lecture de réflexions critiques ouvrira des brèches vers plus de liberté sexuelle. »