Le coup de blues de Walter Boudreau

Walter Boudreau en mai 2022
Photo: Valérian Mazataud Archives Le Devoir Walter Boudreau en mai 2022

L’approche du festival Montréal/Nouvelles musiques nous a amenés à avoir une pensée pour le directeur historique de la Société de musique contemporaine du Québec (SMCQ), Walter Boudreau. Cela tombe bien, il souhaitait nous parler de ses inquiétudes et de son vague à l’âme.

« Je suis très inquiet par une dégradation des priorités dans nos grands orchestres », dit le compositeur au Devoir. À l’âge de 77 ans, il tient à préciser : « Ce n’est pas un vieux frustré qui vous parle ! »

« Où s’en vont nos grands orchestres ? » se demande Walter Boudreau qui, visiblement, peine à faire jouer sa dernière création. Mais celui qui a été pendant trois décennies le directeur de la SMCQ veut dépasser le cadre personnel et soulève bien des questions.

Médiation

« L’OSM me dit : “On pourrait vous passer une commande de 10-12 minutes.” Je ne veux pas me comparer à Mahler, mais juste pour l’image, je vois bien quelqu’un aller voir Sibelius ou Mahler en disant : “On va vous commander un 10-12 minutes, parce qu’il ne faut pas que ce soit trop long et il ne faut pas que ça dérange trop.” Je suis donc inquiet parce qu’on me dit pour ma grande œuvre que je ne nommerai pas et qui dure 45 minutes, “faut y mettre le temps” et “ce ne sera pas évident de remplir la salle avec ça”. »

Cette fameuse œuvre de 35 à 45 minutes, un compositeur peut-il l’écrire et la proposer ensuite ? « Absolument. Je demande une subvention en privé par le Conseil des arts et lettres du Québec (CALQ) et le Conseil des arts du Canada (CAC), une bourse, car je ne suis plus salarié. Par exemple, la version acoustique de Golgot(h)a créée en 2023 à la SMCQ a été subventionnée par le CALQ à hauteur de 42 000 dollars. » On en conclut donc que CALQ et CAC soutiennent la genèse d’œuvres dont, ensuite, personne ne s’assure de la création.

« Vous soulevez un point important, car CALQ et CAC subventionnent un individu. À ce niveau, ce qui est sacré, c’est la liberté de création. Mais, oui, il est possible que cela ne se concrétise jamais, car on ne sait pas ce qui se passe dans le bureau d’à-côté. » Ce « bureau d’à-côté » vise les institutions subventionnées en soutien à leurs missions, sans suivi par rapport au choix de soutien à la création. « Le CALQ est pour la création pure : “Faites ce que vous avez envie de faire et, si vous êtes débrouillard, organisez-vous pour vous faire jouer. Nous, on donne de l’argent aux orchestres.” Peut-être pourrait-on avoir un médiateur entre les deux ? »

Ségrégation ?

« Les orchestres sont-ils en mesure de considérer qu’il n’y a pas que le profit et le repentir qui devraient faire partie de leurs préoccupations ? Ce sont de formidables machines qui fonctionnent à 20 kilomètres à l’heure », juge Walter Boudreau, qui aborde là un autre cheval de bataille.

« J’ai assisté il y a quelques années à une conférence de Simon Brault à l’époque où il était directeur du Conseil des arts du Canada et qui disait haut et fort que l’excellence n’était plus un critère, que c’était “l’identité”. Moi, j’ai été 33 ans à la direction de la SMCQ et j’ai travaillé avec à peu près tout ce qui bouge sur la terre. […] Je n’ai jamais demandé à quelqu’un qui il était. Ce qui m’intéressait de ces personnes, c’est ce qu’elles faisaient, quelle était la nature profonde de leur création », dit-il.

Si Yannick Nézet-Séguin ouvre sa saison avec une œuvre autochtone, « ça, c’est le repentir de notre société, des horreurs que notre gouvernement a causées », affirme le compositeur.

« Nous, on en paie le prix, maintenant, au niveau des artistes », considère celui qui juge qu’il faut « programmer des œuvres qui méritent d’être jouées » indépendamment de toute ségrégation, même positive.

« Nos chefs ont-ils un plan de match ? » s’interroge enfin Walter Boudreau, s’agissant de la défense de notre patrimoine. Il a peur que nous devenions une société sans histoire musicale. « Le chef néerlandais Reinbert de Leeuw était un ami du compositeur Louis Andriessen. Partout où il allait, il programmait une partition d’Andriessen. Les Allemands programment les Allemands. Que font nos chefs ? Quand jouons-nous [Jacques] Hétu à Montréal ? »

Walter Boudreau se souvient du succès de son Concerto pour violon avec l’Orchestre Métropolitain. « Vous étiez là. C’était transcendant. Yannick Nézet-Séguin m’a écrit ensuite pour me “remercier de ce chef-d’œuvre”. Il ne l’a jamais reprogrammé. »

Le compositeur rêve désormais ne serait-ce que d’un concert annuel « OSMCQ », ce concept créé avec Charles Dutoit, « où il n’y ait pas de la musique convenue ». « Ils ne font même pas ça », laisse-t-il tomber avec un brin de lassitude.

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