Les coops d’habitation s’adaptent à la crise du logement

Les listes d’attente s’allongent dans les coopératives d’habitation, prisées non seulement par les personnes à faible revenu, mais aussi par une classe moyenne qui occupe une part croissante de ces logements de plus en plus abordables par rapport au marché privé.
Au moment où les offices d’habitation peinent à répondre à la demande des locataires à faible revenu et que les loyers grimpent en flèche sur le marché privé, les listes d’attente s’allongent dans plusieurs coopératives d’habitation du Québec.
« À l’époque, quand je me suis inscrit, ça prenait cinq ans pour entrer dans une coop. Maintenant, ça prend encore plus de temps que ça », lance Marc Coulombe, président du conseil d’administration de la coopérative L’Égali-Terre, qui compte 24 logements situés dans Le Plateau-Mont-Royal. « On reçoit 30 demandes par mois, donc plus de 300 par année. Et notre coop est pleine », confie-t-il.
Tout comme d’autres acteurs du milieu, M. Coulombe constate que plusieurs ménages se tournent aujourd’hui vers des coopératives d’habitation davantage « pour des raisons économiques » que « par conviction ». Or, le succès des coopératives d’habitation à offrir des loyers abordables s’inscrit dans le fait que leurs membres s’impliquent en moyenne 14 heures par mois pour réaliser diverses tâches de gestion et d’entretien au sein de leur immeuble. Car « plus on est obligés de dépenser de l’argent pour des services, plus les prix augmentent dans les coops », résume M. Coulombe.
Les gestionnaires de coopératives d’habitation sont ainsi confrontées à un dilemme lorsque vient le temps de trouver de nouveaux occupants pour un appartement laissé vacant dans leur immeuble. « Est-ce que je veux aider quelqu’un à sortir du marasme économique ou est-ce que je veux prendre quelqu’un qui a les compétences pour être dans une coop ? » illustre Marc Coulombe.
« Le défi, c’est de démêler les gens qui ont juste besoin d’un logement pas cher, point, et ceux qui comprennent l’engagement des membres que les coops impliquent », constate lui aussi Patrick Préville, directeur général de la Fédération de l’habitation coopérative du Québec (FHCQ). Actuellement, « on se retrouve avec beaucoup trop de gens qui n’ont pas nécessairement les valeurs coopératives, mais cherchent un appartement pour loger leur ménage de façon abordable », ce qui menace de nuire à la qualité de l’entretien et de la gestion de certaines entreprises collectives, relève-t-il.
M. Préville souligne ainsi l’importance, pour les gestionnaires de ces immeubles, d’être prudents dans leur sélection de candidats afin de prioriser ceux qui sont « prêts à se mobiliser pour effectuer des tâches ». « Si on ne fait pas ça, on s’en va dans un mur » et des coopératives pourraient à terme fermer leurs portes, prévient-il.
Accommoder la classe moyenne
En 2022, un logement de deux chambres à coucher était offert en moyenne à 596 $ par mois dans les coopératives du Québec. Une partie des logements de ces entreprises collectives sont par ailleurs subventionnés, ce qui permet à leurs locataires à faible revenu de débourser 25 % de leurs revenus pour se loger.
Entrer dans une coopérative d’habitation n’a d’ailleurs jamais été aussi intéressant d’un point de vue économique.
Déjà, en 2022, un rapport de la Fédération de l’habitation coopérative du Canada soulignait que l’écart entre le prix à débourser pour occuper un logement dans ces entreprises collectives et celui demandé sur le marché privé était passé de 25 % à 33 % entre 2006 et 2021. Un écart qui a continué de se creuser depuis partout au pays, y compris au Québec, où les loyers dans les coopératives d’habitation ont augmenté de 2,6 % en moyenne par an entre 2017 et 2022, soit à un rythme moins élevé que le marché privé.

Dans ce contexte, les coopératives d’habitation deviennent de plus en plus attrayantes pour des membres de la classe moyenne qui, jusqu’à récemment, se seraient contentés du marché privé, mais souhaitent maintenant trouver leur place dans ces entreprises collectives dans l’espoir de réduire le poids de la location d’un logement dans leurs finances. « Des gens qui ont plus de revenus et qui veulent garder leur train de vie malgré la hausse du coût de la vie et des loyers, ce sont des demandes qu’on voit plus souvent », confirme Marc Coulombe.
Résultat : la part des ménages gagnant 70 000 $ et plus est passée de 6 % en 2017 à 15 % en 2022, selon la plus récente enquête socio-économique de ses membres réalisée par la Confédération québécoise des coopératives d’habitation (CQCH).
Des locataires qui s’accrochent
En parallèle, la part des locataires de ces bâtiments qui ont un revenu inférieur à 20 000 $ est passée de 37 % à 19 % entre 2017 et 2022. Une situation qui pourrait être attribuable à l’intérêt grandissant de ménages relativement bien nantis pour ce type de logements, mais aussi au fait que les membres de ces entreprises collectives y restent de plus en plus longtemps.
« Les gens ne veulent pas quitter la coopérative parce que s’ils partent, leur loyer va augmenter de 1000 $ par mois », illustre la directrice générale de la CQCH, Sandra Turgeon. Une situation qui contribue à allonger les délais pour les personnes en attente d’un logement dans une coop, selon elle. Ce sont ainsi 25 % des locataires d’une coopérative qui, en 2022, y demeuraient depuis 20 ans ou plus, selon les données de la CQCH. En 2017, ce pourcentage s’élevait à 14 %.
Or, un locataire qui a été accepté dans une coopérative d’habitation lorsque ses revenus étaient faibles n’en sera pas retiré si, dans les années et décennies suivantes, sa situation financière s’améliore considérablement. Il conserve son « droit au maintien dans les lieux », explique Mme Turgeon. Une analyse que partage M. Préville.
« Ce sont des ascenseurs sociaux, les coopératives. Il y a beaucoup de gens qui vont faire le choix d’y rester » même si, avec le temps, leur situation financière leur permettait d’opter pour le marché privé, relève le directeur général de la FHCQ. « Les gens devraient-ils partir sur la seule base de leur salaire ? Je dirais que non », tranche-t-il.
Sandra Turgeon assure cependant que la rémunération est un facteur important qui est pris en considération dans le choix des candidats admis dans les coopératives d’habitation. « Entre deux candidatures équivalentes, la personne ayant le moins de revenus sera choisie, assure-t-elle. Les coopératives sont là pour les gens qui sont dans le besoin. »
Qui est admissible à une coopérative d’habitation ?
Les critères d’admission dans une coopérative d’habitation au Québec varient d’une coopérative à l’autre, chacune d’entre elles gérant sa propre liste d’attente selon ses propres règles. La Loi sur les coopératives prévoit toutefois que les membres de ces immeubles doivent avoir fait une demande d’admission et voir leur candidature approuvée par un conseil d’administration avant d’y être logés.
De façon générale, un des principaux critères de sélection comprend l’engagement des candidats à s’impliquer dans la gestion et l’entretien de la coopérative. Le revenu est aussi pris en considération, nombre de ces immeubles privilégiant les personnes ayant un statut socio-économique précaire.
Une partie des logements des coopératives d’habitation sont par ailleurs subventionnés et offerts uniquement à des personnes en situation de pauvreté, qui peuvent alors débourser 25 % de leur revenu pour se loger.
Zacharie Goudreault