Contrats de 100 millions pour une firme au «rendement insatisfaisant» à Montréal

La réhabilitation de conduites d’eau, d’égouts et d’asphaltage sur la rue Grand Trunk, dans l’arrondissement du Sud-Ouest, a fait vivre un enfer à des résidents du quartier.
Photo: Lucas Jallot Archives Le Devoir La réhabilitation de conduites d’eau, d’égouts et d’asphaltage sur la rue Grand Trunk, dans l’arrondissement du Sud-Ouest, a fait vivre un enfer à des résidents du quartier.

Une entreprise de construction, montrée du doigt par la Ville de Montréal pour son « rendement insatisfaisant » sur un chantier de voirie qui a subi un retard de 495 jours, vient d’obtenir deux contrats totalisant plus de 100 millions de dollars pour des travaux de réfection de rues.

L’entreprise Duroking Construction, de Mirabel, a été placée le 18 décembre dernier sur la liste des fournisseurs au « rendement insatisfaisant » par la Ville de Montréal pour un chantier ayant donné lieu à une série d’irrégularités.

La réhabilitation de conduites d’eau, d’égouts et d’asphaltage sur la rue Grand Trunk, dans l’arrondissement du Sud-Ouest, a fait vivre un enfer à des résidents du quartier. Entre les années 2021 et 2024, ils ont subi la fermeture de la rue, le bruit et la poussière. Le chantier a été retardé de 16 mois — et interrompu à de multiples reprises — à cause notamment de difficultés à réparer une conduite d’eau principale.

Des documents déposés lundi au conseil municipal de Montréal recensent une série d’avertissements envoyés par la Ville à la firme de construction durant toute la durée du chantier.

Entreprise « délinquante »

Cette mésaventure n’a pas empêché le conseil municipal de Montréal d’accorder lundi des contrats importants à la firme Duroking Construction — un premier d’une valeur de 57,5 millions de dollars, pour la réfection de rues et l’enfouissement de fils dans le Vieux-Pointe-aux-Trembles, et un autre de 43,1 millions de dollars, pour des travaux aux boulevards Albert-Hudon et Maurice-Duplessis, à Montréal-Nord et à Rivière-des-Prairies.

Le parti Ensemble Montréal, opposition officielle à l’Hôtel de Ville, a dénoncé ces contrats attribués à une « entreprise délinquante ». « On peut déjà douter de la qualité des travaux qui seront effectués », a lancé Christine Black, mairesse de Montréal-Nord.

« La Ville de Montréal récompense, en quelque sorte, une entreprise qui a causé des désagréments considérables aux citoyens », a renchéri Alan DeSousa, maire de l’arrondissement de Saint-Laurent.

L’attribution de ces contrats à une firme au « rendement insatisfaisant » est susceptible d’alimenter le cynisme et la désillusion des citoyens, a souligné de son côté le conseiller indépendant Serge Sasseville, en affirmant lui aussi sa dissidence par rapport à cette décision de la Ville.

Une décision légale

L’administration Plante a souligné que les soumissions pour ces deux contrats avaient été ouvertes avant que Duroking Construction ait été placée sur la liste des fournisseurs au rendement insatisfaisant. Or, l’article 573 de la Loi sur les cités et villes est clair : une municipalité peut refuser la soumission d’un fournisseur « qui, au cours des deux dernières années précédant la date d’ouverture des soumissions, a fait l’objet d’une évaluation de rendement insatisfaisant ».

« Nous avons respecté la loi », a fait valoir Émilie Thuillier, mairesse de l’arrondissement d’Ahuntsic-Cartierville et présidente du comité exécutif. La Ville se serait exposée à des poursuites en cas de résiliation des contrats, d’autant plus que Duroking Construction était la plus basse soumissionnaire dans les deux cas.

La Ville admet que le comité de sélection des contrats n’a pas été avisé des démarches alors en cours qui visaient à placer l’entreprise sur la liste des fournisseurs au rendement insatisfaisant. L’opposition officielle déplore ce silence jugé « préoccupant ». En outre, les difficultés de Duroking Construction étaient bien connues : des résidents de la rue Grand Trunk étaient venus se plaindre des difficultés du chantier en plein conseil municipal, en avril 2024. Des reportages avaient été publiés à ce sujet dans des médias, dont Le Devoir.

L’administration Plante justifie aussi sa décision d’accorder les contrats par l’urgence des travaux à effectuer à Montréal-Nord et à Pointe-aux-Trembles. Les chantiers auraient été retardés d’un an en cas d’annulation des soumissions. Les travaux d’une durée prévue de trois ans à Montréal-Nord visent notamment à sécuriser des voies de circulation où l’achalandage est appelé à augmenter : une école primaire, un CLSC et une Maison des aînés doivent ouvrir leurs portes près d’une école secondaire et du cégep Marie-Victorin.

La Ville s’engage à « mettre en place des mesures afin d’assurer un suivi serré du rendement de l’entrepreneur dans le cadre de [ces contrats] ». Au moment où ces lignes étaient écrites, Duroking Construction n’avait pas répondu à notre demande d’entrevue, lundi.

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